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Maraude express par temps de covid-19
/Fred V. Travailleur social de rue Bruxelles Belgique
Article mis en ligne le 13 avril 2020

Travailleur social de rue, je suis revenu sur le terrain depuis ce début de semaine. J’essaie ici de donner un aperçu de ma courte première sortie d’isolement professionnel depuis un mois.

Depuis une semaine, j’ai eu le plaisir de reprendre le travail de terrain. Dans mon cas, qui suis travailleur social de rue avec des personne sans-abri, isolées et souffrant d’une problématique de santé mentale, et en ces temps de confinement, cela ce limite à aller voir, de loin, les personnes les plus fragiles que notre équipe suit. A la fois pour garder un semblant de lien, les rassurer, les informer, s’assurer qu’elles vont bien, ou pas trop mal, et n’ont besoin de rien d’important.

Les semaines précédentes nous sommes restés cloîtrés. En l’absence de matériel, notre employeur nous a mis en réserve pour intégrer les services hospitaliers, mais cela n’a pas été nécessaire et nous avons tenté tant que possible de travailler de chez nous. Appeler les quelque-uns de nos suivis qui possèdent des téléphones, prendre des nouvelles des autres par l’entre-mise des services encore actifs dans les centres d’accueil, en rue, ou dans les hôpitaux. Restaient les plus isolés, pour qui nous étions les plus inquiets. (...)

Sur le chemin, une avenue habituellement fort fréquentée, force est de constater que la population respecte les consignes. Les piétons sont rares et les voitures aussi. Par contraste, la police semble hyper-présente. Le soleil brille, il fait bon, les feuilles des arbres sont à nouveau présentes, et c’est finalement plutôt agréable de voir cette autoroute urbaine vide et silencieuse, qui m’appartient.

En arrivant dans le parc, j’observe qu’il est désert. Seuls quelques jardiniers s’affairent à proximité de leur camionnette. (...)

Mon gars est là. Comme d’habitude. Il va bien, je suis rassuré. Je lui laisse le choix, je peux m’approcher avec le masque ou rester où je suis, à environ quatre mètres, sans. Il me renvoi la balle. Sachant qu’une bonne part de la communication passe par le non-verbale, notamment par les mimiques du visage, je préfère rester très éloigné et découvert. Je lui propose de fumer une cigarette ensemble, à distance. Je lui lance un petit paquet de mouchoir, et lui dépose un sac avec quelques victuailles, au cas où.

Il a la cinquantaine, est fumeur, vit dehors depuis un bail, a un surpoids certain et aucun suivi médical sérieux depuis dix ans. Je crois que ça en fait une personne à risque. Il reste informé de l’actualité alors j’aborde LE sujet directement, lui demande ce qu’il en pense. Lui n’y croit pas, il a entendu à la radio qu’il existait une théorie qui faisait le lien avec la 5G, il est convaincu. Puis il digresse sur les origines supposées de la maladie. Je lui propose un masque et des gants. Il refuse, je recommencerai le vendredi suivant, et il refusera encore. L’entretien est relativement court, je m’assure de l’essentiel, sa principale préoccupation concerne la police dont il craint qu’elle ne le fasse déguerpir. Dans son cas, ce serait une véritable expropriation, mais il est connu et par bien des aspects il est en confinement depuis des années, à l’extérieure.

L’exercice de la prévention est un art compliqué lorsque l’on travail avec un public qui cumule des problématiques de grande précarité et de santé mentale. En effet, notre équipe est chargée de créer un lien de confiance avec des personnes très isolées, pour les ramener vers les différents réseaux qui existent (de santé, associatifs, administratifs, humains, ...). Cet isolement ne vient pas de nul part, et dans certains cas aller trop loin dans la prévention pourrait créer une défiance et nous coûter ce lien de confiance tant recherché. (...)

L’étape suivante de ma maraude est moins joviale, je vais prendre des nouvelles d’un monsieur un peu agressif que je connais mal, mais qui lui aussi me semble correspondre aux critères de fragilité, au vue de son âge et de ses conditions de vie. L’entretien ne prend que quelques minutes, je ne suis pas bienvenu. Il voit mon masque et me crie "ce sont des conneries" (...)

La journée de terrain se termine déjà. C’est un peu triste, d’habitude nous marchons presque sept heures d’affilée et rencontrons bien plus de monde.

Je me demande où sont les mendiants habituellement présents dans le quartier de la gare. J’ai appris que dans certaines communes la police les verbalisaient. Salle temps pour la misère.

Sur le chemin du retour, je reçois un coup de file d’un monsieur dont nous étions sans nouvelles. Lui aussi est à risque, il pèse dans les quarante kilos et perd régulièrement l’équilibre et la mémoire, je lui demande s’il a des masques, il me dit que non, que de toute façon il n’a pas d’argent pour s’en acheter. Je lui promets de lui en déposer dans la boite aux lettres de son squat. Sa principale préoccupation c’est sa carte d’identité, qu’il avait gagé chez un épicier contre de l’alcool, et qui est désormais fermé. Je n’ai aucun espoir de l’aider à la récupérer, ni bon conseil à lui donner, si ce n’est d’aller y glisser un papier avec son numéro de téléphone.

Sur les trois personnes avec qui j’ai parlé, aucune n’avait de quoi se protéger, ni gel, ni gants, ni masque. Les trois étaient apparemment à risque. Aucun des trois ne semblaient réellement s’en soucier.

Alors que je remonte sur mon autoroute urbaine, le silence et le vide n’ont plus rien de joyeux, ils sont le visage d’un mal invisible dont certains restent encore inconscients. (...)