
Dans le secteur du vin, beaucoup de viticulteurs peinent à vivre. Certains dénoncent le rôle des coopératives qui captent la valeur ajoutée au détriment des producteurs. D’autres s’organisent au sein de leur propre coopérative.
A l’ombre des grands crus et de l’insolente richesse des châteaux prestigieux, des vignerons crient leur désarroi. Le 6 décembre, des viticulteurs ont manifesté à Bordeaux, redoutant « un plan social pour la viticulture », entre effondrement des prix et surproduction [1]. Au sein de cette profession, beaucoup n’atteignent pas le salaire minimum. « Les viticulteurs sont souvent payés en dessous du Smic », nous confie Camille*, une productrice du Bordelais installée depuis 2005. Depuis plusieurs années, elle a vu le revenu de ses collègues vignerons dévisser, sauf pour celles et ceux en agriculture biologique. (...)
Les grandes inégalités de revenus entre viticulteurs ne sont pas nouvelles. Selon une étude assez ancienne (2011) – réalisée par la mutualité sociale agricole qui n’a pas été en mesure de nous transmettre des données plus récentes –, le revenu familial par équivalent temps plein n’atteignait pas le niveau du Smic dans plus d’une exploitation viticole sur deux [2]. Ces données recèlent évidemment de fortes disparités : « Il y en a qui s’en tirent bien, notamment ceux qui comme moi ne dépendent pas de coopératives, sont à leur compte et arrivent à dégager de la valeur ajoutée », souligne Mathieu Dauvergne, vigneron producteur indépendant installé à Limoux dans l’Aude. Quant aux autres…. (...)
Dans le milieu, difficile de croiser une ou un viticulteur sans qu’il n’évoque sa coopérative. Une bouteille de vin sur deux en France est en effet issue de coopératives viticoles [3]. Cette coopération agricole, Hervé Changarnier l’a toujours défendue. Il était viticulteur dans le Sud-Ardèche jusque fin 2019 avant de transmettre son exploitation. Dans ce territoire, beaucoup de caves coopératives sont nées à partir des années 1920. C’est ce maillage qui, d’après lui, a construit et consolidé la viticulture : « Au début, il n’y avait pas d’organisation commerciale collective commune. Chacun vendait sa production au négociant : il n’y avait pas d’organisation pour les prix. Grâce à la coopérative, on s’est motivés, on a replanté des vignes, réencépagé, dans l’optique de faire de la vente directe plutôt que de passer par le négoce. L’organisation commerciale, c’est bon pour les paysannes et les paysans. (...)
De l’émancipation aux fusions-acquisitions
Les coopératives viticoles ont ainsi permis aux producteurs de s’émanciper de l’omnipotence des négociants. Mais la vigne n’a pas échappé au mouvement de fusions-acquisitions qui concerne l’agrobusiness : 3 % de ces groupes agglomérés contrôlent 85 % de l’agrobusiness coopératif français (lire notre précédente enquête). « Des monopoles voient le jour, au détriment des agriculteurs » (...)
« La coopérative foncière est l’aboutissement de cette dérive », ajoute-t-il. Les coopératives peuvent en effet acquérir du foncier à des fins de production agricole, comme le rappelle un document copublié par La coopération agricole que nous avons pu consulter. Dans ce cas, la coopérative confie l’exploitation des parcelles à un ou plusieurs associés coopérateurs, qui interviennent en tant que prestataires de services, avec leur propre matériel. « Cela marque l’impossibilité pour les paysans de travailler sur leurs propres terres », s’inquiète Mathieu Dauvergne. (...)
« Le viticulteur passe sa vie à courir après ses traites » (...)
« Les coopératives ne disent pas ouvertement comment elles rémunèrent leurs producteurs » (...)
Des rémunérations éloignées du prix réel de la bouteille (...)
Pour Mathieu Dauvergne, le principal problème est le suivant : « Le prix réel de notre production, c’est celui de la bouteille de vin, mais ça ne rentre jamais en compte dans la rémunération du viticulteur. On est payés aux kilos de raisins. Les adhérents deviennent des producteurs de matières premières, et les coopératives veulent de la matière première au plus bas coût possible. » (...)
« Quand des agriculteurs se posent la question de la répartition de la valeur de leur produit, ils s’arrêtent vite aux négociants qui leur parlent de mondialisation, de concurrence étrangère, d’export dans un marché difficile. Les agriculteurs ne vont pas fouiller : c’est tellement complexe et pénible à comprendre. Le système permet d’optimiser financièrement le coût de la matière première sur le dos des adhérents actionnaires. » Les producteurs ne touchent parfois qu’une partie infime du prix de vente des bouteilles. Interrogé à ce sujet, le groupe Cordier n’a pas donné suite à nos demandes. (...)