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le Monde Diplomatique
Main basse sur les salaires Le consensus de Berlin
Article mis en ligne le 19 juin 2012
dernière modification le 14 juin 2012

Avril 2010. La « troïka », composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI), intervient dans les processus de négociation collective en Grèce. Elle exige une baisse des salaires d’environ 25 % dans le secteur public ainsi que la réduction du salaire minimum. En juin, le même trio lance une procédure spéciale enjoignant au gouvernement roumain d’« adopter un code du travail révisé et une législation sur la négociation collective afin de réduire le coût de l’embauche et d’améliorer la flexibilité des salaires (1) ».

Un an plus tard, enfin, la Commission européenne appelle la Belgique à réformer son système d’indexation des salaires, arguant que « les coûts unitaires de la main-d’œuvre [y] ont augmenté plus rapidement que dans les trois pays voisins (France, Allemagne, Pays-Bas) (2) » (...)

Si la question des salaires a d’abord été exclue des prérogatives communautaires, les contraintes imposées par l’Union — du contrôle des déficits publics à celui de la dette — visaient en partie à garantir la « modération salariale ». Mais ce pilotage s’effectuait à distance, sans intervention directe. Il n’en va plus de même. Et, d’après le président de la Commission européenne, la récente évolution de l’action de Bruxelles n’a rien d’anecdotique. « Ce qui se passe actuellement, affirme M. José Manuel Barroso, est une révolution silencieuse, à petits pas, vers une gouvernance économique plus forte. Les Etats membres ont accepté — et j’espère qu’ils l’ont bien compris — d’octroyer aux institutions européennes d’importants pouvoirs en matière de surveillance (3). »

Les gouvernements ont décidé de se coordonner pour mener, à l’échelle européenne, une politique commune de régression salariale. Le pacte « euro plus », adopté en mars 2011, accélère le détricotage des modèles de négociation collective.
(...)

Ce dispositif, qui contient six actes législatifs européens, a été adopté dans l’urgence et en toute discrétion. Piloté par la direction générale des affaires économiques et financières (DG Ecfin), les ministres de l’économie et la BCE, il prévoit qu’un « tableau de bord » donnera l’alarme en cas de « déséquilibre macroéconomique » ou d’« écart de compétitivité » jugé trop important à Bruxelles. Si un pays ne se conforme pas aux recommandations, il sera passible de sanctions financières.
(...)


Le terme « compétitivité » maquille mal la nature du projet : une intensification de la concurrence entre les salariés européens
, au sein d’une Union dont les concepteurs affirmaient pourtant qu’elle favoriserait la coopération de ses membres vis-à-vis de l’extérieur...
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« Nous avons créé l’un des meilleurs secteurs à bas salaire en Europe », se félicitait M. Schröder en 2005, lors du Forum économique mondial de Davos. Depuis 2003, les politiques de flexibilisation du marché du travail (lois Hartz) ont considérablement appauvri l’Allemagne. Le travail temporaire est devenu un secteur à part entière, certaines allocations de chômage proportionnelles au revenu ont été supprimées et les « mini-jobs » (emplois flexibles payés 400 euros par mois) ont fait leur apparition. En 2011, 40 % des travailleurs étaient embauchés avec des contrats précaires et 6,5 millions étaient des employés « à bas salaire » (moins de 10 euros de l’heure) (8). Les conventions collectives sont également devenues très vulnérables.
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En 1999, la naissance de l’euro marque un tournant : la monnaie unique interdit aux Etats toute dévaluation ou autres jeux sur les taux de change pour améliorer leur compétitivité. Conséquence : les salaires deviennent la dernière variable d’ajustement dont ils disposent pour améliorer leurs coûts relatifs de production. Une situation qui revient à exercer une pression constante sur le pouvoir d’achat des travailleurs européens (...)


Dans un tel contexte, la nature même du salaire se voit entamée.
Jusque-là objet de délibération politique par excellence, celui-ci est désormais ramené au rang de vulgaire facteur de pression inflationniste ou d’amélioration de la compétitivité. Ce qui revient à évacuer définitivement la question cruciale de la redistribution des richesses.
(...)

le carcan macroéconomique de l’Union ne laisse d’autre perspective que le dumping salarial organisé. Puisque aucun cadre de négociation collective européenne ni aucune harmonisation par le haut n’est pour le moment envisageable dans le cadre du droit européen, la négociation ne se conçoit... qu’à la baisse. Comme si on ne pouvait imaginer une coordination des négociations de salaires à la hausse.

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