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Lettre ouverte sur l’amitié et appel à déserter le forum Agir Pour Le Vivant, ayant lieu à Arles du lundi 24 août au dimanche 30 août.
Notre-Dame-des-Landes Bassin versant de la Loire BRETAGNE
Article mis en ligne le 25 août 2020

Nous vous écrivons en amis, pas en ennemis. Nombre de vos idées et de vos écrits nous ont souvent servi d’ancrage dans les tempêtes qui se déchaînent en cette époque vacillante. Nous avons rencontré certain-e-s d’entre vous, avec qui nous avons partagé notre passion pour la protection du vivant. Plusieurs nous ont rendu visite sur la zad4 (Zone à défendre) de Notre-Dame-de-Landes, apportant votre soutien à la lutte victorieuse contre un aéroport climaticide. Nous avons croisé d’autres d’entre vous lors de festivals et de forums où nous présentions nos travaux respectifs. Nous partageons la même maison d’édition avec d’autres encore, et nous avons hâte de rencontrer en personne celles et ceux dont les chemins n’ont pas encore croisé les nôtres. Mais malheureusement, cela ne se produira pas en ce mois d’août, dans la chaleur estivale de la ville d’Arles, lors du forum Agir pour le vivant, car nous n’y viendrons pas. Cette lettre ouverte Quelle culture voulons-nous nourrir ? vous invite à vous aussi incarner ce refus, afin qu’il devienne une désertion collective. L’amitié implique toujours des choix et des conséquences et cette lettre ouverte traite de l’art de choisir de bonnes relations.

2020 nous a propulsé-e-s dans une bataille d’imaginaires aux proportions rarement connues dans l’histoire : La vie ou l’économie d’abord ? Retour à la normale ou non ? C’est une bataille où non seulement les façons dont nous percevons la vie et coexistons avec elle sont plus que jamais en jeu, mais où une grande partie du vivant pourrait être confrontée à une précarité extrême, à des expulsions et à une extinction massive dans les prochaines décennies. Dans toute bataille, il est impératif de choisir ses ami-e-s et l’événement Agir Pour le Vivant nous semble emblématique de ce type de choix. Le programme paraît irrésistible, toutes les bonnes questions sont posées, avec les bons mots et les bons imaginaires. Pourtant, cet événement est soutenu par des alliés profondément problématiques pour quiconque se soucie du vivant : la plupart des « partenaires » (un terme qui se rapporte autant à nos amours qu’à ceux avec qui nous faisons affaire, un terme bien plus chaleureux que « sponsors »…) font partie de la logique délétère qui ne cesse de traiter le vivant comme n’ayant de valeur que si celle-ci peut être calculée comme une marchandise ou un service au sein du marché.

Cette logique est celle de l’extractivisme5, des enclosures6, de l’externalisation et de l’extra-territorialité. En somme, c’est la logique même du capitalisme, le contraire de la logique des Communs qui, elle, est la forme de vie que nous nous efforçons de développer et que nous partageons probablement avec la plupart d’entre vous.

« Nous sommes plus que jamais confrontés à la sensibilité et à la fragilité de la Terre » claironne l’élégant site web éco-pop d’Agir pour le Vivant, (www.agirpourlevivant.fr), un forum qui « entend présenter des solutions, oser des expérimentations et contribuer à l’écriture de nouveaux récits… » en vue d’ « une nouvelle conscience en faveur de la biodiversité ». L’événement, qui doit durer une semaine, est organisé par Actes Sud, l’une des plus grandes maisons d’édition francophones. Sa directrice, Françoise Nyssen, est devenue célèbre pour avoir été nommée en 2018 Ministre de la Culture par un banquier devenu Président (Emmanuel Macron) et avoir dû démissionner peu de temps après à cause de « l’affaire de la mezzanine ».

En faisant défiler la page d’accueil du site jusqu’en bas, après la liste d’illustres intellectuel-le-s et artistes, on découvre 26 logos de « partenaires ». Parmi ces logos, il y a ceux d’institutions financées par des fonds publics (Office du tourisme d’Arles, Parcs Naturels Régionaux de France), ceux de media libéraux (Libération, Kombini), ceux d’entreprises semi-publiques (Banques des Territoires ou Compagnie National du Rhône)… Les autres logos sont ceux de multinationales privées telles que BNP Paribas ou du cabinet de gestion financière Mirova. Le logo du forum est une sorte d’hybride inter-espèces arbre-humain, qui court à perdre haleine, pour, nous semble-t-il, fuir cet événement et la toxicité de ses entreprises partenaires. (...)

La meilleure manière de comprendre ces partenariats n’est pas tant de les voir comme des entités qui soutiennent le forum mais plutôt l’inverse : c’est le forum qui rend crédible leur mensonge selon lequel elles se soucient de toute autre chose que de faire des profits, en détruisant des vies humaines et non-humaines si nécessaire. Il ne s’agit pas d’argent propre ou sale, mais d’une toute autre monnaie d’échange : la confiance et la valeur qu’on lui accorde.

Dans les cercles gouvernementaux et les milieux d’affaires on appelle cette approche « l’acceptabilité sociale » (...)

L’idée de base est que les entreprises ont besoin de l’approbation et du soutien du public pour leurs activités potentiellement nuisibles. Pour obtenir cette acceptabilité, comme l’explique l’artiste, militant et naturaliste James Marriott, il faut qu’elles construisent une « image positive aux yeux des politiciens, diplomates, fonctionnaires, journalistes, universitaires, ONGs et commentateurs. Ces groupes sont connus […] dans le milieu des relations publiques […] sous le nom de ‘cibles spéciales’ (special publics)… [Le sponsoring] n’est pas offert par philanthropie, il fait partie intégrante de l’ingénierie des conditions sociales et politiques qui assureront la sécurité à long terme des investissements [dans les projets contestés parce que destructeurs]. »9 En bref, pour pouvoir continuer à agir comme elles l’ont toujours fait, ces entreprises ont besoin de réparer leur mauvaise réputation en se faisant passer pour bienveillantes. Pour cela, il leur faut s’associer avec les bons partenaires.

Ces entreprises ont ainsi bien davantage besoin d’Agir Pour le Vivant et de ses « cibles spéciales » que l’événement n’a besoin de leur soutien. (...)

Ce type d’opération de relations publiques est essentiel dans le contexte de basculement historique comme aujourd’hui, où la confiance dans le système s’effondre.

Au final, en offrant nos idées ainsi que tout ce pourquoi nous nous battons lors d’événements de ce type, nous œuvrons à redorer le blason et à modeler les imaginaires en faveur de ces machines de mort ; pire nous le faisons pour une fraction des coûts d’une véritable société de relations publiques. (...)

Certain-e-s d’entre vous pourraient faire valoir que le plus important, c’est que vos idées soient diffusées largement, que le contexte importe peu car les idées changent le monde et le public en a besoin. Certes, nous avons besoin de vos mots et de vos idées, mais quand elles nourrissent une culture qui tourne le dos au vivant, elles perdent leur pouvoir de subversion. Un des ateliers mis en avant par le forum s’intitule L’entreprise au service du Vivant. Il nous semble que Le Vivant au service de l’entreprise qualifierait mieux la petite musique qui sera jouée au forum, et sur laquelle vous devrez danser si vous y participez. (...)

Alors que nous écrivons, le Forum Économique Mondial, sommet virtuel des plus grandes entreprises pétrolières, agroalimentaires, énergétiques et technologiques du monde vient de s’achever. Son fondateur et président exécutif, Klaus Schwab, a résumé la rencontre de la sorte : « En somme, il nous faut une ‘grande réinitialisation’ du capitalisme ». Nous sommes à la croisée des chemins. L’ancienne culture se meurt, et nombre de ses vieilles logiques se battent pour survivre. Ces moments sont toujours les plus intenses et les choix qu’on y fait sont lourds de conséquences. (...)