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Les musulmans imaginaires de l’Institut Montaigne
Eric Fassin, sociologue
Article mis en ligne le 11 novembre 2016

« 28% de musulmans rigoristes en France » titraient les journaux après la diffusion du rapport de l’Institut Montaigne sur l’islam en France. Un chiffre proprement imaginaire, pour peu qu’on se plonge sérieusement dans l’étude, qui multiplie les faiblesses méthodologiques comme les biais idéologiques. Retour sur une falsification statistique.

(...) e souci de scientificité ne paraît pas étouffer les auteurs, qui, forts de l’apparence de sérieux qu’offrent chiffres et graphiques, dressent à partir de l’étude un tableau de la population musulmane qui a moins à voir avec la réalité empirique qu’avec des représentations idéologiques quant à l’existence en France d’une nouvelle classe dangereuse. Nous laissons à d’autres le soin d’analyser les recommandations proposées par l’Institut Montaigne et d’en faire la critique. Nous nous contenterons ici de mettre minutieusement en lumière la médiocrité de l’étude sur laquelle elles prétendent s’appuyer. (...)

L’échantillon d’individus à qui l’institut de sondage a administré son questionnaire se distingue à la fois par sa construction artisanale et la vision héréditaire – c’est-à-dire biologisante – de la religion musulmane qu’il révèle. Pour s’en rendre compte, il faut revenir pas à pas sur sa construction.(...)

La plupart des considérations générales concernant le degré de religiosité et de compatibilité avec la République des musulmans (en « voie d’intégration », ou au contraire en rupture) reposent sur l’extrapolation des réponses des enquêtés à des questions à l’énoncé parfois obscur, et insistent toutes sur le caractère irréconciliable de l’opposition entre les valeurs défendues par les « musulmans » et celles prêtées au reste de la société française. Prêtées, car celle-ci sert d’étalon de mesure mais demeure invisible : le rapport à leur foi des catholiques n’est par exemple jamais interrogé, ce qui empêche toute comparaison. On aurait tort de croire que les auteurs n’ont pas conscience de forcer le trait en s’écartant d’une interprétation stricte et prudente des résultats de l’étude statistique : si, dans le rapport, les fameux 28 % de musulmans « problématiques » sont caractérisés par le fait qu’ils considèrent que « la loi religieuse passe avant la loi de la République », il est prudemment précisé en annexes que « si la loi religieuse est tenue pour “plus importante” que la loi de la République, cela ne signifie pas pour autant que les répondants sont favorables au non-respect de cette dernière. » Autant pour la France en détresse.

La plupart des chiffres présentés dans le rapport font ainsi l’objet d’une interprétation très libre, visant davantage à soutenir des représentations politiques et idéologiques préexistantes à l’enquête qu’à décrire la réalité. (...)

l’apparence de scientificité et l’affirmation d’une transparence méthodologique ne sauraient suffire à dissimuler l’amateurisme de l’étude sur laquelle s’appuie l’Institut Montaigne, qui doit être moins considérée comme un fondement empirique aux recommandations politiques qu’elle propose pour « réformer l’islam de France », comme il est devenu coutume de dire, que comme une tentative de les légitimer. Ce procédé ne saurait être traité avec indulgence, dans la mesure où les chiffres présentés avec fracas dans cette enquête contribuent à l’hystérisation du débat public en France et à la normalisation de représentations islamophobes : ils ont donné lieu à des titres de presse infamants et ont été immédiatement repris par la droite et l’extrême-droite en campagne. Plus encore, il doit nous alerter quant à la qualité de l’expertise que l’Institut Montaigne entend proposer au gouvernement et à l’administration publique sur des questions de politiques publiques, économiques ou européennes, en particulier à l’heure où démarre la campagne pour la présidentielle. Nous ne pouvons que conseiller aux membres de ce vénérable think tank d’éviter, à l’avenir, de proposer à ses lecteurs de vérifier la qualité de ses rapports – nous les prendrons au mot aussi souvent que nécessaire.