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France Culture
"Les mots d’un boxeur gitan" : petite histoire du mépris de classe par la langue
Article mis en ligne le 15 février 2019
dernière modification le 14 février 2019

Christophe Dettinger a été condamné ce 13 février à un an ferme, aménageable en semi-liberté, pour avoir frappé des CRS lors d’une mobilisation des "gilets jaunes". Médiatisé comme "le boxeur gitan", sa façon de parler avait été jugée suspecte... parce qu’elle tranchait avec pas mal de clichés.

"Le boxeur, la vidéo qu’il fait avant de se rendre... il a été briefé par un avocat d’extrême gauche. Ça se voit ! Le type, il n’a pas les mots d’un gitan. Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan." C’est Le Point qui rapportait le 1er février ces propos d’Emmanuel Macron évoquant Christophe Dettinger, le champion de France des lourds-légers en 2007-2008, condamné ce 13 février à un an ferme, aménageable en semi-liberté, pour avoir frappé des membres des forces de l’ordre le 5 janvier 2019 à l’occasion d’une journée de mobilisation des “gilets jaunes”. (...)

Gitan éduqué, gitan ventriloque ?
Les propos d’Emmanuel Macron sur le niveau de français de Christophe Dettinger sont venus ourler cette représentation de l’idée que ce monde populaire, boxeur et gitan, se distinguerait naturellement par une syntaxe étriquée, une moindre aisance à parler, et un vocabulaire un peu voyou. En sous-texte, l’idée que puisqu’il s’exprimerait mieux que prévu, Christophe Dettinger parlerait forcément en ventriloque - sûrement a-t-il été “briefé par un avocat d’extrême gauche”, parie Emmanuel Macron.

Ce commentaire a soulevé quelques protestations :

renvoyer Dettinger à ses origines gitanes pour évoquer une langue française réputée mal dégrossie était “insultant” pour les gitans, pouvait-on lire un peu partout
s’étonner d’entendre un “boxeur gitan” s’exprimer distinctement en disait long sur “l’image éculée qui s’attache à tous ceux que l’on regroupe sous des termes équivalents, les “Gitans”, les “Gens du Voyage”, les “Roms” sans toujours savoir de qui il est question : ils appartiendraient à un monde replié sur lui-même, séparé de la société dite majoritaire par une culture et un mode de vie à part, et ils parleraient donc un langage qui s’attacherait à leur état subalterne”, soulignait le 7 février sur Médiapart l’historien Ilsen About
s’émouvoir d’un niveau de langage correct chez un gitan révélait une méconnaissance crasse des pratiques langagières de la communauté cible - “Comme les patois régionaux, les “parlers gitans, manouches ou yéniches” sont employés dans l’intimité, en famille. Au-delà du cercle familial, comme le pratiquent les Français d’origine italienne, espagnole, portugaise ou maghrébine, on parle français, tout simplement. Il n’y a donc absolument rien d’étonnant, ni calcul ni manipulation en coulisse au fait que Christophe Dettinger, qui est peut-être tsigane, comme d’autres se reconnaissent auvergnats, provençaux, picards ou lorrains, se soit exprimé en français courant lors de son allocution enregistrée en vidéo et publiée sur sa page Facebook”, écrivait le 4 février dans Libération Jacques Debot, qui signe “écrivain tsigane” sa tribune. (...)