
Les combattants qui ont contribué à vaincre Boko Haram pourraient devenir la prochaine menace
Arborant un bonnet commando vert malgré la chaleur, Ali* se vante d’avoir trouvé un moyen infaillible de tuer jusqu’à 50 membres présumés de Boko Haram d’un coup en les faisant rôtir dans une fosse. (...)
Ali fait partie de la Force opérationnelle interarmées civile (Civilian Joint Task Force, CJTF) du Nigeria, une milice d’autodéfense composée d’environ 23 000 hommes. La CJTF a joué un rôle crucial — mais controversé — dans la campagne militaire contre Boko Haram, le cruel groupe djihadiste qui sévit dans le nord-est du pays depuis 2010.
Des héros locaux
Les habitants de la région se sont tournés vers la CJTF pour obtenir une protection contre Boko Haram. Pour nombre d’entre eux, ses combattants sont des héros locaux : ils incarnent la résistance de la communauté face aux djihadistes et comblent les lacunes de l’armée. Ils sont les yeux et les oreilles de la campagne contre-insurrectionnelle. (...)
Ils se sont avérés être de fervents défenseurs des villes de la région. Ils ont aussi été les premiers à être exécutés lorsque Boko Haram réussissait à prendre le dessus.
La CJTF ne fait pas partie de la police ni de l’armée, mais elle a la bénédiction des autorités de l’État, qui lui fournissent parfois aussi des équipements, des armes et des formations.
Alors que la menace de Boko Haram commence à s’estomper, toutefois, on rapporte de plus en plus de cas de combattants de la CJTF ayant pris pour cible des membres de la population civile qu’ils disent protéger. Ses miliciens jouissent en effet d’une quasi-impunité. En l’absence d’un plan de démobilisation détaillé, le pays se dirige potentiellement vers une crise. (...)
Amnesty International a été la première à organisation à dévoiler, en 2014, les « exécutions extrajudiciaires horribles » commises par la CJTF. Elle a publié des séquences vidéo montrant des miliciens en train d’égorger des détenus aux côtés de soldats de l’armée.
Selon des civils de Maiduguri — le lieu de naissance de Boko Haram et de la CJTF —, certains miliciens continuent de harceler, de torturer et de faire subir des sévices physiques et sexuels à leurs victimes, et ce, malgré les promesses du gouvernement de ramener les miliciens à l’ordre. (...)
La structure du groupe d’autodéfense s’inspire de celle de l’armée : les districts correspondent aux commandements de zone de l’armée et les postes de contrôle dispersés dans la région sont souvent gérés conjointement. Certains raids militaires sont même menés en collaboration avec des miliciens de la CJTF.
L’organisation jouit d’un remarquable degré d’autonomie. (...) L’autonomie juridique de la CJTF est d’autant plus préoccupante lorsqu’on voit les difficultés auxquelles sont confrontés les civils au moment de rapporter les sévices dont ils sont victimes. Nombre d’entre eux ont dit craindre les représailles et ne pas savoir très bien comment accéder à la justice. (...)
Ce n’est pas la première fois que le Nigeria se heurte au problème de l’intégration des groupes d’autodéfense ayant émergé pour pallier l’incapacité de la police à faire régner l’ordre.
Le pays envisage d’adopter une loi qui contribuerait à officialiser et à intégrer les groupes d’autodéfense. Le projet de loi n’aborde cependant pas le cas précis de la CJTF, qui est pourtant le groupe d’autodéfense le plus important actuellement.
Il est maintenant évident qu’un plan de démobilisation viable est nécessaire. Un leader de l’unité de la CJTF à Bama a admis : « Il est difficile de contrôler nos hommes… lorsque Boko Haram sera défait, ce sera probablement encore plus difficile. »
Des miliciens peu qualifiés (...)
La démobilisation est cependant compliquée par le nombre de miliciens concernés et par le faible niveau d’éducation de la plupart d’entre eux.
Les prochaines élections, prévues pour 2019, pourraient en outre venir allumer la poudrière. Les groupes d’autodéfense nigérians ont souvent été exploités par les politiques par le passé. Des groupes nés d’initiatives citoyennes visant à maintenir l’ordre au sein de la communauté ont ainsi été transformés en bandes de mercenaires politiques. L’armement et l’entraînement militaire dont ont pu profiter certains membres de la CJTF rendent cette politisation des groupes d’autodéfense d’autant plus dangereuse.
Un plan adéquat de démobilisation, de désarmement, de réhabilitation et de réinsertion doit absolument être mis en place avant qu’il ne soit trop tard. (...)