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Les lucioles écoféministes prennent la relève
#ecofeminisme #rechauffementclimatique #alternatives
Article mis en ligne le 28 septembre 2022

Alors que l’été, terrible, est derrière nous, notre chroniqueuse s’interroge : de quoi l’automne sera-t-il fait ? Elle enrage, face à la catastrophe, de nous sentir si éloignés d’un élan collectif, mais garde espoir. La relève est là.

C’est presque devenu un lieu commun de l’écrire, l’été 2022 aura été déroutant pour beaucoup de monde. Les canicules, sécheresse et incendies en France auront sans doute provoqué un choc émotionnel, dont nul ne peut toutefois prédire s’il en résultera une prise de conscience, la vraie, celle qui relie le cerveau aux tripes en faisant clairement percuter que nos vies ne seront plus jamais les mêmes.

J’ai moi-même passé quinze jours en apnée, pendant que 380 hectares du Vercors partaient en fumée. La chaleur était suffocante. Je m’étais installée au frais dans la grange ouverte et plongée dans l’ambiance victorienne des sœurs Brontë, dans une tentative désespérée de changer d’époque. Incapable de me concentrer, je n’arrivais qu’à scruter le bal des hélicoptères, inquiète et meurtrie, sans réussir à me sortir de l’esprit que quinze années de militantisme et de combats atterrissaient là, dans cet incendie aux portes de chez moi. (...)

Et pourtant, l’été a passé et l’automne qui arrive semble vouloir en recouvrir les stigmates. Les feuilles roussies avant l’heure, si angoissantes durant l’été, arborent une teinte dorée désormais en phase avec la saison. Il redevient, fin septembre, logique de voir le débit des rivières diminué. Les pluies de la fin de l’été ont même reverdi les jardins brûlés et donnent des airs de printemps au potager. Mes fleurs de capucine, stoppées net au début de l’été, fleurissent enfin. Les concombres qui étaient restés en dormance se réveillent et se mettent à s’enrouler comme des lianes ; je vois même des fleurs de courgette d’ici. Tout semble rentrer dans l’ordre. Et c’est peut-être le plus inquiétant. (...)

J’avais beau être convaincue cet été, assommée par l’étendue du désastre, que certains arbres étaient définitivement morts, nous n’en avons probablement pas perdu tant que ça. Pour cette fois. Car la répétition et l’intensification des extrêmes climatiques risque de mettre cette capacité à rude épreuve et l’élastique finira par nous claquer entre les doigts.

La faculté humaine à s’adapter à de nouvelles conditions d’existence est elle aussi spectaculaire. Le cerveau a ses propres mécanismes pour oublier au fur et à mesure la forme et les couleurs des paysages, les bourdonnements d’insectes et la nature de ses joies passées pour s’accoutumer à leur dégradation. Le corps lui-même, après un été caniculaire, se met à avoir froid à 25 °C. Or, si l’amnésie des sens sera peut-être un jour un facteur de quiétude mentale, elle représente une menace aujourd’hui. Celle d’oublier, comme ce fut le cas après la Roya [1] ou Fukushima, et de n’en tirer aucun enseignement. (...)

à quel moment a-t-on l’impression qu’une catastrophe provoque quelque changement que ce soit ? Le Japon redémarre ses réacteurs, les profits de Total explosent, Jancovici compare les dangers du nucléaire à ceux d’une sucrerie, l’Office national des forêts continue à être démantelée et le complexe agro-industriel n’a pas frémi d’un cil. (...)

Tout se passe comme si chacun ressortait de ces crises raffermi dans ses convictions antérieures — qu’elles soient décroissantes ou technicistes. (...)

Un sentiment d’implacable, comme jamais, m’a fait vaciller cet été. Comme nous nous le sommes écrit avec une amie chère, le temps des « lanceuses d’alerte » que nous avons été est fini. Tout est là, documenté, entré de plain-pied sous nos yeux et dans nos vies, tout est dit. Il ne s’agit plus d’informer ou d’argumenter sur les faits mais de politiser la prise de conscience et de la transformer en action. Car ça ne fait que commencer.

Nos vies sont en train de changer irrémédiablement, du fait des contraintes induites par tous ces bouleversements. (...)

Il y aurait tant de choses à faire, susceptibles de susciter de l’élan collectif, je le crois vraiment. Et j’enrage de nous en sentir si éloignés. Il faudrait être devin pour savoir de quel côté de la ligne de crête nous allons tomber, mais la chute est désormais certaine et nous allons avoir besoin de renforts et de relais, nous qui sommes bientôt à l’automne de nos vies et sur le pont depuis tant d’années… (...)