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Les gentils blancs me tuent
Article mis en ligne le 18 septembre 2020
dernière modification le 17 septembre 2020

Nos enfances cassées, nos adolescences brisées, nos vies d’adultes si dures. Vos privilèges, si criants. Nous préparons nos enfant au racisme des vôtres. Nous ne pouvons même pas attendre de vous que vous éduquiez votre progéniture à ne pas être raciste car vous vous pensez hors du problème.

Ces derniers mois ont été éprouvants pour bon nombre de personnes engagées dans des luttes sociales. Une flamme de colère contre le racisme, la capitalisme, le validisme, le sexisme, et les LGBTQIA*phobies renaissait et s’ancrait en France, sous l’impulsion d’une vague jeune (et moins jeune !), belle et courageuse. Dans le même temps, la crise sanitaire liée au covid-19 bouleversait le quotidien de beaucoup d’entre nous, entre pertes de revenus et choc psychologique dû au confinement. On m’a un jour dit qu’il ne fallait pas attendre d’aller bien pour créer, écrire, parler. Je suis toujours blessée par le contexte politique et sociétal français, il était donc temps que je reprenne la plume. (...)

Depuis quelques semaines je suis confuse, impuissante. J’assiste comme tout le monde au déferlement de haine qui poursuit les différentes mobilisations contre l’islamophobie et les violences policières, pour ne nommer que celles-ci. Car les blanc.hes aux vélléités de dominations ont subi. Iels se sentent désormais acculé.e.s. C’est le sanglot de l’homme blanc, acte N° 988999387, environ.

Les demandes de réparations, de restitutions, de reconnaissances de crimes en cascade. Les totems de pierre et de sang à terre, brisés. Nos histoires racontées avec la puissance de nos mots, de nos points de vues situés et de nos colères. La simple prise de parole et de l’espace public. Mais qu’avons nous osé ?

Nous assistons désormais à un énième retour de bâton. Notre gouvernement mène d’infâmes luttes anti-migrants, anti-musulmans de manière décomplexée. Autorisé.e.s par ce dernier, les plus puissant.e.s représentant.e.s de la blanchité suprémaciste et leurs sbires envahissent nos ondes : “Séparatisme”, “Ensauvagement” entend-on pour qualifier ce qui n’est pas blanc, ce qui serait étranger, celles et ceux qui dérangent.

“N*gre, singe ” entend-on. “On ne peut plus rien dire” !

“11 septembre ”, balancé comme riposte à la vidéo d’une jeune fille qui porte un foulard et qui ose exister dans l’espace public, qui ose se montrer telle l’individu libre et altruiste qu’elle semble être.

Iels s’affirment en tant que rempart de la République, de la liberté d’expression et nous indiquent avec autorité le fait qu’eux mêmes, leur connaissance, ami.e, ancien.ne collègue ne sont “absolument pas racistes”. Iels prennent la parole partout, tout le temps, pour commenter et conclure leurs propres offenses.

L’espace public légitime, institutionnel, est bien à eux.

Face à tout cela et dans mon envie de lutte, je reste perplexe car les mêmes personnes qui proclament une minute leur dégoût face à ces propos et comportements, les mêmes qui s’indignent à grand bruit afin que l’on soit toutes et tous rassurés sur leur antiracisme sont celles et ceux qui ne sont à l’aise que dans notre silence.

Je parle de nos fameux gentil.les blanc.hes, “pas racistes”, comme ces présentateurs et chroniqueuses de l’émission “Quotidien”, qui laissèrent un ancien président déshumaniser, animaliser les personnes noires sans bouger d’un sourcil.

Ces gentilles personnes blanches, “de goooche” tant que ça ne questionne pas les fondements matériels de leurs vies privilégiées. Je ne sais plus comment gérer au quotidien ces allié.e.s autoproclamé.e.s qui sont en fait de grand.e.s prestidigitateur.rice.s de l’humanisme.

Personnellement, depuis que je milite contre le racisme en utilisant mon expérience, mes lectures, mes recherches et rencontres comme matériau de base, ces gentil.les blanc.hes veulent mon silence. Que ce soient d’ancien.ne.s ami.e.s, des membres de ma famille, des collègues ou des militant.e.s, mon silence et leur confort passent avant le combat contre les inégalités raciales. Je n’ai pas le droit d’exploiter mon passé pour ma guérison. Je n’ai pas le droit d’écrire anonymement sur ce qu’iels m’ont dit ou fait. Je n’ai pas le droit de retourner le miroir, car ce qu’iels y voient leur est insupportable. (...)

Je ne peux plus supporter d’entendre leurs éléments de langages tant affectionnés :

“Un jour ça ira mieux” ;

“Ce n’est pas si important”

“C’est pas du racisme mais de l’ignorance”

“Victimisation”

“Oui mais aussi voilà comment telle victime s’est comportée”

“Bon c’est juste comme ça”

“Chaque pays, chaque société a un jour” …

“C’est pas ce que je voulais dire” (gaslighting)

[Déroule son CV qui prouve qu’il est gentil et “pas raciste”] (gaslighting)

“Je n’ai jamais dit / fait ça” (gaslighting)

“Tu as mal compris” (gaslighting)

“Mais je cherche juste à discuter ! Tu es fermée”.

De la lâcheté, partout et tout le temps. Une lâcheté qui me paralyse parfois. Qui me fait dire dans mes moments de faiblesse qu’on ne verra pas le bout du tunnel. (...)

Je pense que c’est insulter l’intelligence moyenne des humains que de laisser penser qu’après des siècles d’éducation raciste officielle, de livres d’histoires racistes, de thèses de médecine et d’anthropologie raciste, d’industrie de l’esclavage, de colonisation, de tortures de zoos humains, de comptines racistes, et désormais de néocolonialisme… le français moyen et la française moyenne naissent et grandissent sans développer les symptômes de l’ensauvagement de leurs ancêtres.

Les gentil.les blanc.hes me tuent, tous les jours et en tout lieu par le déni de leur propre racisme. (...)