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Les feux d’artifice du 14 juillet, un spectacle éprouvant pour les oiseaux
Article mis en ligne le 13 juillet 2021

Le bruit et la lumière des feux d’artifice font paniquer et désorientent les oiseaux, provoquant de nombreuses morts, tandis que leurs résidus chimiques polluent l’environnement. Alors que des ornithologues vont jusqu’à demander l’arrêt total de ces spectacles, les professionnels du secteur cherchent des parades.

Très appréciés par les humains, ces explosifs déflagrants sont perçus de manière très différente par l’avifaune. Lors du dernier nouvel an, des centaines d’étourneaux sont morts dans les rues de Rome (Italie). Cette hécatombe était due, selon l’Organisation internationale de protection animale (OIPA), aux nombreux feux d’artifice tirés cette nuit-là par les habitants. Les images tournées par les Romains montrent des oiseaux affolés, percutant les arbres, les arrêts de tramway et les fenêtres des immeubles. (...)

En 2010, à Beebe dans l’Arkansas (États-Unis), près de 5 000 carouges à épaulettes avaient connu pareil sort la nuit de la Saint-Sylvestre. Des dizaines de détonations avaient précédé le vol erratique de ces oiseaux, reconnaissables aux taches rouges à la base des ailes, qui ont été retrouvés gisant sur le sol. En France, des oiseaux ont également succombé lors du 14 juillet à Toulouse, en 2019, ou encore à Limoges, en 2018.

Mais comment les feux d’artifice peuvent-ils provoquer pareils dégâts chez nos camarades ailés ? « Les fortes déflagrations, surtout quand elles sont soudaines, provoquent une augmentation du stress, du rythme cardiaque et de la vigilance des oiseaux », explique à Reporterre Jean-Marc Pons, ornithologue au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).

Des oiseaux qui s’écrasent en fuyant

Ensuite, poursuit le scientifique, « les conséquences varient selon le contexte local » : « Dans le cas d’oiseaux très grégaires [qui vivent en nuées], comme les étourneaux et les carouges à épaulettes, une réaction de panique peut se diffuser dans tout le groupe. En temps normal, le ballet de leurs vols, en rangs serrés, est parfaitement coordonné. Mais ce sont des espèces diurnes [actives le jour], qui ont une mauvaise vision nocturne. Suite à la détonation, elles s’envolent de leur dortoir dans la précipitation, tentant de fuir le danger, mais elles n’ont pas de repères. Elles se collisionnent entre elles et s’écrasent contre des obstacles. »

Aux Pays-Bas, où les îles dunaires et les polders offrent un abri privilégié aux espèces d’oiseaux aquatiques qui viennent se reposer l’hiver, des scientifiques ont observé pendant trois années consécutives le comportement de l’avifaune le soir de la Saint-Sylvestre. Dans cette étude, parue en 2011 dans la revue scientifique Behavioural ecology, ils constatent une activité anormale des oiseaux quand les feux d’artifice surviennent. (...)

En France, où la littérature scientifique sur les conséquences écologiques des feux d’artifice est famélique, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de Touraine a constaté en 2019 un dérangement important, après les festivités du 14 juillet, des populations de sternes pierregarins et naines qui nichent sur les îlots de la Loire. (...)

« Les feux d’artifice peuvent avoir de graves répercussions sur la pérennité de la colonie, tempête l’ornithologue. Et nous parlons là d’oiseaux qui font 5 000 kilomètres pour venir nicher sur la Loire… »

Les feux d’artifice contiennent également plusieurs substances néfastes pour les écosystèmes dans lesquels les oiseaux vivent. Plusieurs études ont montré que les feux d’artifice entraînaient une contamination des étendues d’eaux au perchlorate, un oxydant très persistant dans l’environnement. (...)

L’ornithologue Julien Présent appelle « à ne plus faire de feux d’artifice, qui représentent un cataclysme » pour l’avifaune. « Je ne vois pas en quoi les feux d’artifice sont plus dangereux qu’un orage percutant ! rétorque Jean-Eric Ougier, fondateur de la société Fêtes et Feux et spécialiste des manifestations pyrotechniques. Avant de sacrifier ces moments très ponctuels de bien-être, de magie et d’émerveillement sur l’autel de l’écologie, attaquons-nous aux vrais problèmes, comme la numérisation du monde. »

David Proteau, directeur artistique de Ruggieri, une entreprise de conception de spectacles pyrotechniques, estime lui aussi qu’« il ne faut pas abandonner le feu d’artifice : c’est l’évènement qui unit — autour du mystère, du rêve et de la contemplation — le plus de personnes de toutes catégories sociales et de tous âges ». S’il reconnaît « volontiers » que le secteur du feu d’artifice « n’est pas clean à 100 %, ce n’est pas anodin », il assure « que la profession a le souci d’inventer des spectacles plus écoresponsables ».
Effaroucher ou s’adapter ?

En 2015, l’artificier, dont l’entreprise tire près de 6 000 feux dans le monde par an, avait conçu un spectacle du 14 juillet à Toulouse, qui avait provoqué la mort de dizaines d’oiseaux. Des dizaines de volatiles étaient tombés dans la foule pendant l’événement. « Nous étions très embêtés, raconte David Proteau. Depuis, j’ai changé ma façon de démarrer mes feux d’artifice : j’habitue les oiseaux au bruit et à la lumière, en augmentant la fréquence et l’intensité progressivement. Un peu comme un orage, qui arrive progressivement. La recette fonctionne, et nous n’avons plus retrouvé d’oiseaux morts. » « Les sons provoqués par les artifices ne sont pas des sons dits "signifiants" [1], alors ils ont un effet effarouchant très ponctuel pour les oiseaux, qui peuvent s’y accoutumer », confirme Thierry Aubin, directeur de recherche au CNRS, interrogé par Reporterre.

« Pour moins déranger les oiseaux, on peut aussi faire des feux d’artifice moins bruyants, en privilégiant certains effets comme les comètes, les pots à feu, les fontaines, les gerbes, les volcans ou encore les horse tail qui libèrent des grappes d’étoiles dans le ciel et retombent tout doucement », poursuit David Proteau, concepteur des feux qui seront tirés, ce 14 juillet, à Paris, Bordeaux, Toulouse, La Rochelle, ou encore Biarritz. À Bordeaux, municipalité écologiste, l’artificier a d’ailleurs été chargé d’imaginer un feu sans perchlorate, sans plomb et sans retombée de plastique et d’aluminium dans la Garonne. « Par ailleurs, l’artificier s’est engagé à compenser les émissions de CO₂ générées par la combustion des produits lors du spectacle », a précisé la mairie, contactée par Reporterre.

Loin des nids

Pour Thierry Aubin, l’enjeu est également « de s’éloigner au maximum des sites de nidification d’oiseaux ». (...)

« La société évolue, et si notre métier n’évolue pas de concert avec elle, il s’éteindra, assure David Proteau. Si nous ne devenons pas plus vertueux et en phase avec les attentes écologiques de nos clients, ils iront chercher de la pyrotechnie ailleurs. »

Quant aux feux tirés par les particuliers, responsables de l’hécatombe de la nuit de la Saint-Sylvestre à Rome, il est peu probable que les mêmes scènes se déroulent en France. La réglementation permet aux particuliers d’utiliser des artifices de divertissement, mais seuls les professionnels peuvent stocker et utiliser un feu d’artifice conçu pour être tiré au mortier. Si la mise à feu se déroule ailleurs que sur la propriété du tireur, le particulier doit demander l’autorisation au propriétaire du terrain (et si le terrain est municipal, il convient de demander à la mairie). L’utilisation des artifices de divertissement et des articles pyrotechniques sans autorisation ou en violation de la réglementation en vigueur est puni d’une amende de 1 500 € ou 3 000 € en cas de récidive au maximum et de la confiscation du matériel. Et les oiseaux riverains des communes ayant annulé leur spectacle pour cause de coronavirus sont, eux, assurés d’avoir la paix.