
Nouvelle tempête médiatique dans un verre d’eau ? Dans un entretien avec Claude Bartolone publié le 25 avril par Le Monde, le président de l’Assemblée nationale appelait à une « confrontation » avec l’Allemagne. Le lendemain, la presse révèle un texte de travail en vue de la convention du PS sur l’Europe du 16 juin dont on apprend qu’il dénonce la politique économique promue par Angela Merkel.
Il n’en faudra pas plus pour lancer une de ces « polémiques » dont les éditorialistes sont friands, dénonçant presque unanimement la « dérive » anti-allemande, anti-européenne voire belliciste du Parti socialiste. C’est que, en matière d’Europe comme de politique économique, la liberté d’expression a ses limites dont les éditocrates se font les juges…
« L’Europe de la rigueur est une nouvelle fois attaquée » s’exclame Le Monde dans son édition électronique du 26 avril. En quoi consiste donc cette terrible attaque ? Il s’agit d’un texte destiné à être discuté par la commission chargée de préparer la convention du PS sur l’Europe du 16 juin et que Le Monde s’est procuré : « Il constitue une base de travail claire qui invite la gauche européenne à "s’indigner" contre "les recettes qui ont conduit au pire : le libre-échange commercial comme seul horizon des relations extérieures, l’austérité comme étalon à l’intérieur de nos frontières" ». (...)
Les réactions médiatiques provoquées par la publication de ce texte, qui n’est somme toute qu’un document de travail intermédiaire, en disent long sur la manière dont les éditocrates contribuent à baliser le débat démocratique sur les politiques économiques et européennes : formules hors-contexte à la clé, ils font du texte du PS un brûlot anti-Merkel, pour mieux dénoncer une « dérive » anti-allemande, anti-européenne voire belliciste du Parti socialiste…
C’est Le Monde qui dégaine le premier pour défendre « l’Europe de la rigueur » injustement attaquée. Dans son éditorial du 27 avril titré « Ne tirez pas sur Angela Merkel » (...)
Dans l’éditorial de Libération du 28 avril, François Sergent emboîte le pas au Monde : « A quel jeu dangereux jouent les socialistes français, prêts à transformer Angela Merkel en bouc émissaire plutôt que de débattre de la politique de leur gouvernement ? » Pour l’éditorialiste, « on peut – on doit – pouvoir discuter des politiques de rigueur, mais il est démagogique d’en faire porter le chapeau à Berlin ou à Bruxelles. »
Et on serait sans doute à bon droit de se demander à quel jeu joue François Sergent, qui esquive les questions de fond de telle façon qu’il interdit d’en débattre réellement. (...)
Notons que lorsque le gouvernement allemand remet en cause la politique économique française, Libération ne s’offusque pas d’un regain de « douteuse francophobie » outre-Rhin … il s’en fait le porte-voix. (...)
Après Le Monde, Libération, c’est au Figaro de tressaillir d’indignation. Dans son éditorial du 29 avril titré « Les apprentis sorciers », Pierre Rousselin s’indigne : « Rien n’est plus irresponsable que de faire d’Angela Merkel et de la politique européenne de l’Allemagne le bouc émissaire des difficultés qui s’accumulent sur notre pays. » Le même jour, l’éditorialiste des Echos ne choisit pas la carte de l’originalité et de la nuance pour évoquer une « logorrhée anti-Merkel, voire anti-allemande qui commençait à prospérer au sein d’un Parti socialiste livré à lui-même. » (...)
Mais une fois de plus, c’est à Franz-Olivier Giesbert que revient la palme du mérite éditocratique : là où ses éminents confrères sont excessifs, lui est outrancier ; là où eux sont caricaturaux, lui choisit le registre burlesque… Son éditorial du 2 mai dans Le Point fustige ainsi une « conjuration des imbéciles ». « le crétinisme », « l’hystérie », la « mauvaise foi » (...)
On ne peut qu’être frappé par la violence des réactions médiatiques à la publication d’un texte où, somme toute, un parti qui se revendique de gauche en appelle à une « confrontation politique » avec la droite en Europe, et en particulier avec la droite allemande, dont les orientations ont une empreinte forte sur les politiques prises à l’échelle européenne.
Cette violence ne fait que révéler l’extrême pauvreté du débat sur les politiques européennes tel que les médias contribuent à l’orchestrer (...)
Cette invraisemblable uniformité des prises de position de l’« élite » de la presse est évidemment un affront à toute idée de pluralisme médiatique… Pis, au lieu de contribuer à animer le débat public et d’en expliciter les enjeux, une poignée d’éditocrates s’est livrée à son sabotage en règle au cours d’un épisode d’hystérie politico-médiatique dont, une fois n’est pas coutume, le Parti socialiste a fait les frais… Ou quand loin de jouer son rôle de ferment démocratique, un certain « journalisme » pollue le débat public.