
Entretien avec Guy Aurenche, président du CCFD, qui revient également sur les bouleversements de la solidarité Nord-Sud à l’heure des crises de la dette.
39 propriétés luxueuses pour l’ex-président Gabonais Omar Bongo, 24 propriétés et 112 comptes bancaires pour Denis Sassou Nguesso, président du Congo-Brazzaville, 2 logements luxueux pour le président de la Guinée équatoriale. C’est le patrimoine acquis en France, d’après les estimations policières, par ces chefs d’État. Des biens qu’ils auraient achetés avec de l’argent public, selon cet inventaire des « biens mal acquis » mené dans le cadre d’une l’instruction judiciaire, à la suite de la plainte de Transparency International France. Un des éléments déclencheurs de cette enquête : le rapport Biens mal acquis, à qui profite le crime ?, publié par le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) en 2007 puis 2009. (...)
Dans ce rapport, l’ONG pointe les « agissements » d’une trentaine de chefs d’État. Parmi eux, le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema, dont la famille posséderait entre 500 et 700 millions de dollars, provenant du « détournement de la rente pétrolière ». Le clan Obiang aurait notamment « blanchi, entre 2000 et 2003, environ 26,5 millions de dollars en achats immobiliers » [1].
Seul le président de la Guinée équatoriale a décidé de poursuivre le CCFD en diffamation. L’audience a eu lieu en juin, le délibéré sera rendu le 16 septembre. En ce qui concerne la bataille judiciaire initiée par Transparency International pour « recel de détournements de fonds publics », rien n’est joué : le parquet de Paris – qui dépend hiérarchiquement du ministère de la Justice – vient de refuser d’élargir l’enquête aux acquisitions postérieures à 2008. (...)
qu’est-ce qu’une association militante comme le CCFD peut dire aujourd’hui à l’encontre d’un chef d’État et de sa famille, en ce qui concerne sa gestion politique ? Je souhaite que la justice française dise aux associations militantes, si elles travaillent avec sérieux et s’expriment sans hargne : « Vous avez raison de vous exprimer sur le sujet, c’est votre liberté, même si c’est parfois avec des exagérations, ou même peut-être avec des erreurs. » Donc je vis péniblement cette plainte pour diffamation, parce qu’on a autre chose à faire que d’aller au tribunal. J’ai aussi le sentiment que c’est la rançon du succès. Que des chefs d’État ou des dictateurs se sentent mal lorsqu’ils sont accusés, c’est une bonne chose.
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N’importe qui est légitime à intervenir, s’il le fait honnêtement. Et le CCFD-Terre solidaire n’est pas n’importe qui. Ce sont 450 organisations partenaires dans 70 pays, dont 250 en Afrique, qui parlent à travers notre ONG. Ce n’est donc pas un regard « occidental ». Et c’est sans doute cela qui a inquiété les chefs d’État concernés (...)
Le point de départ du rapport Bien mal acquis du CCFD, ce ne sont pas les chefs d’État africains. Ce rapport rappelle d’abord la nécessité de la transparence dans les mécanismes financiers. Le développement ou le mal-développement sont liés à cette absence de transparence. Donc aux paradis fiscaux. Qu’est-ce qui nourrit les paradis fiscaux, dont nous, Occidentaux, profitons très largement ? L’argent des biens mal acquis. Cette question est d’abord une accusation de nos propres systèmes financiers occidentaux, avec leur corruption et leurs détournements de fonds.
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Les paradis fiscaux permettent l’évasion de sommes considérables. Ils permettent à une multinationale qui travaille dans un pays, souvent sous couvert de sociétés locales, de ne rien déclarer. Nous ne voulons plus de cette situation. Oui à l’activité industrielle et au développement des ressources, mais dans la transparence. Sinon, cela se fait sur le dos des peuples les plus pauvres.
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Aujourd’hui, nous arrivons à faire restituer 10 % des sommes détournées. C’est important, déjà, pour le symbole. Mais il faut que les mécanismes de restitution fonctionnent mieux. Il y a des lois à faire respecter. Pour cela, il faut que les chefs d’État soient obligés de dire combien ils gagnent. (...)
Parler des relations Nord-Sud en termes de développement et de mal-développement est aujourd’hui totalement faux. La question du mal-développement traverse le Nord et le Sud. Il y a partout des ultrariches et des ultrapauvres, même si ce n’est pas dans les mêmes proportions. Deuxième constat : nous pensions que les pays « émergents », qui ont connu la souffrance, les conséquences du colonialisme, allaient se comporter de manière plus éthique sur la scène internationale, en particulier dans le domaine financier et concernant l’impunité de ceux qui trichent. Qu’ils seraient à la pointe du combat pour la restitution des sommes détournées, pour la poursuite des chefs d’État qui trafiquent ou tuent leur peuple. Dans ce combat, il y a des ONG brésiliennes, quelques nouvelles ONG chinoises. Mais les autorités politiques, au Brésil ou en Inde, ne sont pas spécialement à la pointe de ce combat. Ce manque de combativité des pays émergents est une vraie déception. Troisième constat : on assiste à des alliances Sud-Sud. Le CCFD est très fier d’y contribuer, en travaillant par exemple dans la région des Grands Lacs africains, au Rwanda, au Burundi, au Congo Kinshasa. C’est la grande nouveauté : l’argent ne vas pas forcément du Nord vers le Sud. Cela a vraiment changé en vingt-cinq ans. (...) Wikio