ça se passe sur France 5, chaîne de l’exigence du service public, a fortiori en fin de soirée, dans une émission de débats distinguée et policée. On parle du mouvement social. Nicolas Framont tente d’expliquer que le vote n’est pas la source unique de toute légitimité politique. Évidemment c’est peine perdue. Enfin pas complètement : il y a au moins du spectacle. Car c’est une fête de l’esprit. À part le vote, « il n’y a pas d’autre possibilité », et d’ailleurs « c’est comme ça » : d’un coup d’un seul, Laure Adler a lâché tout ce qu’elle avait. Et ça a donné ça.
(...) L’isoloir sinon rien
Il n’est pas un lieu de l’éditocratie où cette pensée ne soit vérité d’évangile : le vote à l’isoloir comme horizon indépassable de la « démocratie ». On comprend assez bien pourquoi : le vote, prétendument moyen de la participation, est en fait l’instrument de la dépossession, et rien n’est plus important que de préserver le magistère des dépossesseurs — les éditorialistes notamment qui, se croyant gouvernants des opinions, s’identifient imaginairement aux gouvernants tout court. Et puis le vote, c’est la compétition électorale, la tambouille partidaire, les sondages, les alliances, les trahisons, les combinaisons, « les égos », les coulisses pour « informés », les sources et les confidences, le paradis du journalisme dinatoire — le vide et l’insignifiance. (...)
Logiquement, depuis l’éditocratie, Macron est pleinement légitime puisqu’il a été élu (peu importe comment). Il a donc titre à faire tout ce qu’il veut — et notamment à massacrer les retraites — pourvu que ce soit dans les formes. Mais ici les formes lui donnent à peu près toute latitude. Tout ce qui s’y opposera par des voies autres que procédurales tombera de fait dans le barbarisme politique.
Fétiche de la procédure. Il n’y a qu’une source de légitimité : la procédure électorale. Framont tente de réexpliquer l’idée de fragilité du mandat. Laure Adler : « Mais c’est un vote quand même ! ». Karim Risouli : « Il est arrivé en tête au premier tour ! ». Ruffin, même tentative sur France Inter, Salamé, mêmes mots exactement, harmonie des esprits, cette fois cependant à la limite de l’aboiement : « Qui est arrivé en tête au premier tour ? Qui est arrivé en tête ? C’est Jean-Luc Mélenchon, qui est arrivé en tête ? ». Sondages contre à 75 %, manifestations à millions : aucune importance. Rien ne compte que le suffrage, et seul le suffrage fait titre.
Dire « légitimité » — et ne pas savoir ce qu’on dit (...)
Derrière les auras, suggèrent les sciences sociales, on trouve toujours la même chose : les croyances. La nature sociale de la légitimité est d’être de l’ordre de la croyance. Les onctions de la légitimité ne sont pas autre chose que celles de la croyance. La mise en forme dans une procédure légale n’y change rien (...)
On comprend qu’il soit de la plus haute importance de reproduire la croyance : tout l’ordre politique y est suspendu. C’est dire la fragilité de l’édifice. (...)
En 1789, la croyance dont se soutenait la légitimité du droit divin s’effondre. Dans la crise organique du capitalisme contemporain, la croyance en la dévolution électorale de la légitimité est en cours d’éboulement. Comme la pensée de ceux qui ne connaissent aucun autre principe politique. (...)
Dans une révolution, les dominants finissent hébétés d’avoir été renversés, mais surtout sans avoir rien compris (...)
La faillite des institutions
Il n’y a en réalité aucun mystère : la croyance en les institutions s’effondre parce que les institutions ont fait faillite — et qu’il n’est simplement plus possible d’y croire. Promesse formelle de médiation entre les gouvernants et les gouvernés, il y a belle lurette qu’elles ne médiatisent plus rien, font même le contraire de ce qu’elles étaient supposées faire (...)
Destruction du langage, destruction du débat (...)
Le menteur sait parfaitement qu’il ment. Macron, lui, est possédé par ses vérités du moment. Nous avons affaire à un individu pour qui les mots n’ont aucune signification stable ni aucune valeur, sinon une valeur de plaisir quand il les fait sortir de sa bouche. Nous avons affaire à un individu qui a détruit le sens des mots, donc la condition de possibilité de toute discussion. (...)
Ce que le psychisme de Macron comprend du mot « débat » est devenu évident à l’occasion des « gilets jaunes » avec, précisément, le « Grand débat », instantanément transformé en Gros monologue. Ou bien avec la Convention citoyenne pour le climat, assurée (avant) que toutes ses propositions seraient inconditionnellement retenues, invitée (après) à aller se faire cuire le fondement. (...)
Audio des Demeurés de la "légitimité", billet posté le 07.02.2023 par Frédéric LORDON sur son blog hébergé par Le Monde diplomatique, "La Pompe à phynance :