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Les candidats veulent lutter contre l’évasion fiscale, mais pas tous avec la même énergie
Article mis en ligne le 10 avril 2017

Plusieurs candidats à la présidentielle - mais pas M. Fillon - ont répondu à l’appel de la plate-forme Paradis fiscaux et juridiques pour discuter de fraude et d’évasion fiscale. Derrière le constat unanime des 60 milliards d’euros perdus de ce fait par l’État, les mesures proposées varient beaucoup.

Un an jour pour jour après la révélation des « Panama Papers », la publication de millions de documents justifiant l’évasion fiscale de multinationales et de riches particuliers, la situation reste sensiblement la même en matière de fiscalité. C’est la période choisie pour mettre en place une « semaine mondiale d’actions contre l’évasion fiscale ». Les organisations de la plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires, dont font partie Anticor, Attac France, les Amis de la Terre ou encore le CCFD-Terre solidaire, ont invité les candidats à l’élection présidentielle, lundi 3 avril, à une table ronde autour des questions de fraude et d’évasion fiscales à Paris. Ce grand oral a donné lieu à des échanges parfois tendus, ponctués d’applaudissements et de rires de la part du public.

Parmi les onze candidats à l’élection présidentielle, seuls dix ont été conviés. « Nous avons fait le choix de ne pas interpeller le Front national, car nous estimons que ses valeurs sont trop opposées aux nôtres, orientées vers la solidarité internationale », dit Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre solidaire, coordinatrice de la plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires et modératrice de cet événement. Seuls 5 des 10 candidats invités étaient représentés : Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, Emmanuel Macron, Philippe Poutou et Jacques Cheminade. La représentante de Benoît Hamon, Eva Joly, a d’ailleurs insisté sur le fait que la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales est pour le candidat socialiste une « priorité absolue ». Quant à François Fillon, il ne s’est pas fait représenter, ce qui a suscité dans l’assemblée des blagues sur d’éventuels déplacements du candidat Les Républicains au Luxembourg. (...)

Sur le fond, les représentants des cinq candidats sont d’accord avec Bernard Féraud, représentant Jean-Luc Mélenchon : « L’évasion, l’optimisation et la fraude fiscales font partie des causes de la ruine du pays. » (...)

Tous disent que le problème ne peut être réglé à la seule échelle française. Cependant, comme l’a rappelé Eva Joly, exploiter les différences entre les systèmes fiscaux des États membres de l’Union européenne est légal et s’appelle « l’optimisation fiscale ». Pour elle, il s’agirait donc de « coopérer de façon loyale dans cette lutte et sanctionner les États qui ne le feraient pas ». Ce à quoi le public a réagi par des applaudissements. La création d’un parquet financier européen permettrait, selon elle, de mettre en place une réelle « coopération renforcée ».

Quant à l’ancien juge anticorruption choisi pour représenter Emmanuel Macron, Éric Halphen, il a suscité de nombreux rires en avouant que le programme de son candidat comporte peu de choses sur l’évasion fiscale, car « il est voué à évoluer en prenant en compte les préoccupations qui justifient des réponses à un moment donné » Il a tout de même proposé d’instaurer un « FBI administratif chargé de récupérer les données fiscales et bancaires dans tous les pays de la communauté et dans le but de mutualiser les enquêtes ». Ainsi qu’une « taxe européenne sur le chiffre d’affaires des prestations de service numérique et des ventes à distance des grandes entreprises pour récupérer la richesse des géants du numérique ». (...)

Du côté de Bernard Féraud, qui représentait Jean-Luc Mélenchon, la solution ne peut résider dans les réformes des directives communautaires qui, selon lui, sont plutôt « complices » de l’évasion fiscale. « Il faut dire à l’Europe de changer l’orientation de ses traités si on veut pouvoir restaurer une souveraineté populaire sur la fiscalité », a-t-il expliqué. Selon lui, il faudrait relocaliser l’impôt et recourir à un blocus des paradis fiscaux en contrôlant les flux de capitaux : « La fiscalité doit se faire là où se fait l’activité économique. »

Pour Christine Poupin, représentante de Philippe Poutou, cette affaire relève de la « volonté politique ». Cependant, pour elle, cette lutte ne peut être menée à son terme que par l’engagement citoyen, « une démocratie réelle sur la question et une socialisation de la fiscalité » aussi bien aux échelons français et européen. Une mesure largement applaudie.
« L’évasion fiscale doit être traitée comme toute autre infraction »

Dans le programme de Benoît Hamon, on retrouve également la volonté de taxer « les bénéfices détournés » des multinationales dans les paradis fiscaux, mesure qui rapporterait, selon ses calculs, 11 milliards d’euros. Tout comme Bernard Féraud, Eva Joly souhaiterait que les entreprises transmettent à Bercy la liste de leurs activités et le montant des impôts acquittés où elles sont présentes. Selon les termes techniques, il serait question de « reporting public pays par pays ». Cependant, cette disposition, présente dans la loi Sapin 2 de décembre 2016, a déjà été censurée par le Conseil constitutionnel, qui a considéré que l’atteinte à la liberté d’entreprendre était disproportionnée.

Si, pour les représentants de Benoît Hamon et de Jean-Luc Mélenchon, augmenter les moyens matériels et humains des administrations financières ferait partie des réponses à apporter au problème, ce n’est pas le cas d’Eric Halphen, représentant d’Emmanuel Macron, pour qui « il n’est pas question d’effectifs », qu’il juge suffisants, mais de « répartition dans les différents services », intervention qui a, une fois encore, fait rire le public. (...)

Pour Lucie Watrinet, modératrice de cette rencontre, « il est très difficile pour le citoyen de trouver des réponses claires, d’autant plus que les précisions apportées par les représentants des candidats ne se retrouvent que très rarement dans leur programme officiel. Entre programme écrit et promesses orales, la question primordiale qui se pose est celle de savoir quelles sont les mesures qui engagent effectivement les candidats ». (...)