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« Les banques et l’Etat grecs essaient de prendre nos maisons tous les mercredis au tribunal de paix »
Interview de Filippos Filippides, membre du comité « Vente aux enchères STOP », contre la vente aux enchères des biens immobiliers pour défaut de paiement
Article mis en ligne le 16 décembre 2016

Avant l’adhésion de la Grèce à la CEE (Communauté économique européenne) en 1981, les banques grecques octroyaient des prêts immobiliers à des taux d’intérêts très élevés allant jusqu’à 25%. Avec l’entrée du pays dans la CEE, ces taux ont diminué pour arriver à 16%. Puis, au moment de l’adoption de l’euro, les prêts immobiliers se sont démultipliés de manière exponentielle, permettant aux débiteurs d’emprunter jusqu’à 75% de la valeur du bien, tandis que les prêts à la consommation pouvaient couvrir les 25% restants, ouvrant ainsi les portes de l’emprunt à de plus en plus de ménages. La crise économique a néanmoins mis un terme à cette pratique et la non-solvabilité des ménages a eu des conséquences catastrophiques en ce qui concerne notamment la question du droit au logement.

C’est ainsi que la Grèce vit depuis quelques mois une vague de ventes publiques liées à des prêts non performants dits « NPL » (Non performing loans). Les NPL sont des prêts que les débiteurs ne sont plus en mesure de rembourser. En effet, une grande partie de la population a vu ses revenus chuter, voire disparaître, en quelques années, et s’est ainsi retrouvée en situation d’insolvabilité, ce qui a amené les créanciers (banques, État et acteurs privés divers) à recourir à des ventes publiques débouchant sur des expulsions |1|. Ce phénomène a crû provoquant une crise profonde du logement entrainant la création du comité « Vente aux enchères STOP ». (...)

De plus, l’État, en tant que créancier, a participé aux mises aux enchères de manière directe car, contrairement aux banques, l’État peut recourir à la vente sans passer par le tribunal de paix. En voyant des personnes âgées perdre leur logement à cause de leur incapacité à payer leur facture d’électricité, ou des personnes à mobilité réduite se retrouver à la rue pour des sommes parfois ridicules de l’ordre de 500 euros, il était nécessaire qu’un mouvement de contestation naisse. C’est dans ce contexte que le mouvement populaire contre les ventes aux enchères est né.

À cette même période, d’autres mouvements tels que celui contre les coupures d’électricité pour cause de dettes envers la compagnie DEI (compagnie d’électricité publique) ont vu le jour. En 2012, ces différents mouvements de contestation populaire se sont assemblés autour de la question des ventes publiques dont l’importance était devenue évidente à cause des incidences fortes et directes sur la vie des gens. Des petits comités locaux se sont organisés à travers la Grèce puis il y a eu un appel de « Solidarité pour tous », un collectif issu de Syriza, qui a rassemblé plus de trente organisations à l’école polytechnique d’Athènes. L’idée de la création du mouvement « Vente aux enchères STOP » est née de cette rencontre. Aujourd’hui, le gouvernement Syriza refuse tout contact avec nous. (...)

avec la crise, de plus en plus de personnes se sont retrouvées dans l’incapacité de rembourser leurs prêts. Pour faire face à cette situation, le PASOK a proposé la loi « Katseli » destinée à protéger les résidences principales uniquement, quel que soit la valeur de la dette non remboursée et de la maison. Toutefois, le plafond de la loi précédente , s’appliquant aussi aux résidences secondaires, a été remis en cause avec l’application de cette nouvelle loi jusqu’à disparaître complètement dans le cadre du troisième mémorandum qui l’a annulé. Cela a eu les conséquences directes décrites précédemment.

Le gouvernement actuel n’a cessé de répéter que les résidences principales ne pouvaient être saisies mais ce n’est pas vrai, car les conditions pour bénéficier de la loi « Katseli » sont presque impossibles à réunir et ne s’appliquent qu’à une très petite partie des débiteurs. Les PME ne sont pas protégées non plus. Il y a des gens qui ont hypothéqué leur maison pour pouvoir emprunter de l’argent à la banque afin de créer leur entreprise. Ils sont maintenant en train de les perdre. Leur terrains sont aussi confisqués, ce qui aboutit à mettre en danger des biens familiaux.

Je voudrais également signaler qu’en Grèce il n’y a pas de centre d’accueil pour les personnes sans domicile. Sans logement, personne ne peut trouver du travail. Sans travail, personne ne peut vivre. L’expulsion est donc un acte criminel. (...)

« Les banques et l’Etat grecs essaient de prendre nos maisons tous les mercredis au tribunal de paix »

Interview de Filippos Filippides, membre du comité « Vente aux enchères STOP », contre la vente aux enchères des biens immobiliers pour défaut de paiement

15 décembre par Eva Betavatzi , Filippos Filippides
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Photo : SoliGrecs Nîmes, http://soligrecsnimes.collectif-citoyen.fr/2016/10/24-heures-avec-viome/

Avant l’adhésion de la Grèce à la CEE (Communauté économique européenne) en 1981, les banques grecques octroyaient des prêts immobiliers à des taux d’intérêts très élevés allant jusqu’à 25%. Avec l’entrée du pays dans la CEE, ces taux ont diminué pour arriver à 16%. Puis, au moment de l’adoption de l’euro, les prêts immobiliers se sont démultipliés de manière exponentielle, permettant aux débiteurs d’emprunter jusqu’à 75% de la valeur du bien, tandis que les prêts à la consommation pouvaient couvrir les 25% restants, ouvrant ainsi les portes de l’emprunt à de plus en plus de ménages. La crise économique a néanmoins mis un terme à cette pratique et la non-solvabilité des ménages a eu des conséquences catastrophiques en ce qui concerne notamment la question du droit au logement.

C’est ainsi que la Grèce vit depuis quelques mois une vague de ventes publiques liées à des prêts non performants dits « NPL » (Non performing loans). Les NPL sont des prêts que les débiteurs ne sont plus en mesure de rembourser. En effet, une grande partie de la population a vu ses revenus chuter, voire disparaître, en quelques années, et s’est ainsi retrouvée en situation d’insolvabilité, ce qui a amené les créanciers (banques, État et acteurs privés divers) à recourir à des ventes publiques débouchant sur des expulsions |1|. Ce phénomène a crû provoquant une crise profonde du logement entrainant la création du comité « Vente aux enchères STOP ».

Pouvez-vous nous parler du contexte dans lequel est né votre mouvement ?

La vente aux enchères de biens immobiliers liée à des défauts de paiement a toujours eu lieu en Grèce, même avant la crise. Ces ventes n’ont jamais concerné des résidences principales, ni même des résidences qu’on pourrait qualifier de « populaires », c’est-à-dire des logements occupés à titre principal ou secondaire mais de taille modeste, comme cela a été le cas à partir de 2010. Elles concernaient par exemple des résidences secondaires de taille importante, des bateaux de plaisance, mais également des biens liés à des prêts réalisés entre entreprises. On ne parlait pas à l’époque de ventes liées à des prêts non performants envers les banques, ni même à des dettes envers l’État, car les débiteurs pouvaient avoir recours à d’autres prêts pour palier à leur potentielle insolvabilité, si bien qu’il était rare qu’ils ne soient pas remboursés. Les cas de ventes aux enchères les plus communs concernaient des prêts réalisés entre entreprises ou bien des entreprises en faillite qui devaient payer leurs employés.

On ne parlait pas non plus des dettes envers des entreprises à caractère public (DEKO). Les ventes aux enchères liées aux dettes envers ces institutions ont commencé en 2010. Le nombre de prêts non performants a également augmenté à cette période. De plus, l’État, en tant que créancier, a participé aux mises aux enchères de manière directe car, contrairement aux banques, l’État peut recourir à la vente sans passer par le tribunal de paix. En voyant des personnes âgées perdre leur logement à cause de leur incapacité à payer leur facture d’électricité, ou des personnes à mobilité réduite se retrouver à la rue pour des sommes parfois ridicules de l’ordre de 500 euros, il était nécessaire qu’un mouvement de contestation naisse. C’est dans ce contexte que le mouvement populaire contre les ventes aux enchères est né.

À cette même période, d’autres mouvements tels que celui contre les coupures d’électricité pour cause de dettes envers la compagnie DEI (compagnie d’électricité publique) ont vu le jour. En 2012, ces différents mouvements de contestation populaire se sont assemblés autour de la question des ventes publiques dont l’importance était devenue évidente à cause des incidences fortes et directes sur la vie des gens. Des petits comités locaux se sont organisés à travers la Grèce puis il y a eu un appel de « Solidarité pour tous », un collectif issu de Syriza, qui a rassemblé plus de trente organisations à l’école polytechnique d’Athènes. L’idée de la création du mouvement « Vente aux enchères STOP » est née de cette rencontre. Aujourd’hui, le gouvernement Syriza refuse tout contact avec nous.

Vous avez décrit le contexte social de la mobilisation, pouvez-vous nous donner plus de précisions sur le changement récent du cadre légal facilitant les expulsions de logements ?

Avant la loi « Katseli » |2| du PASOK (le parti « socialiste » grec) adoptée en 2010, une loi du parti de la droite conservatrice Nouvelle Démocratie (ND), dite loi « Hatzidakis », établissait un plafond de 200 000 euros en dessous duquel les expulsions étaient interdites. Cette interdiction s’appliquait à la fois aux résidences principales et secondaires. Mais avec la crise, de plus en plus de personnes se sont retrouvées dans l’incapacité de rembourser leurs prêts. Pour faire face à cette situation, le PASOK a proposé la loi « Katseli » destinée à protéger les résidences principales uniquement, quel que soit la valeur de la dette non remboursée et de la maison. Toutefois, le plafond de la loi précédente , s’appliquant aussi aux résidences secondaires, a été remis en cause avec l’application de cette nouvelle loi jusqu’à disparaître complètement dans le cadre du troisième mémorandum qui l’a annulé. Cela a eu les conséquences directes décrites précédemment.

Le gouvernement actuel n’a cessé de répéter que les résidences principales ne pouvaient être saisies mais ce n’est pas vrai, car les conditions pour bénéficier de la loi « Katseli » sont presque impossibles à réunir et ne s’appliquent qu’à une très petite partie des débiteurs. Les PME ne sont pas protégées non plus. Il y a des gens qui ont hypothéqué leur maison pour pouvoir emprunter de l’argent à la banque afin de créer leur entreprise. Ils sont maintenant en train de les perdre. Leur terrains sont aussi confisqués, ce qui aboutit à mettre en danger des biens familiaux.

Je voudrais également signaler qu’en Grèce il n’y a pas de centre d’accueil pour les personnes sans domicile. Sans logement, personne ne peut trouver du travail. Sans travail, personne ne peut vivre. L’expulsion est donc un acte criminel.

Quelles sont vos positions par rapport à l’évolution de la situation ? Par exemple, est-ce que selon vous le combat que vous menez reste légitime dans le cas de la vente aux enchères d’une résidence secondaire ou d’un bateau de plaisance ?

Bien sûr avant 2010, plusieurs personnes avaient profité de la situation, notamment de la loi « Hatzidakis » mais ils représentent désormais une minorité. Je ne pense pas qu’il soit possible de permettre certaines expulsions plutôt que d’autres. Même si certaines personnes ont bénéficié de généreux salaires avant la crise, ils ne sont pas responsables de la baisse de leurs revenus, ils ne pouvaient pas prévoir, en contractant leurs prêts, qu’ils allaient se retrouver dans une situation aussi dramatique, aussi vite. La crise nous a toutes et tous touchés très rapidement et cette vitesse n’a fait qu’accentuer le problème car elle l’a propagé comme un jeu de domino.

N’oublions pas aussi que, sous la pression de la Troïka, l’évolution du cadre législatif (en référence aux lois votées dans la nuit du 22 au 23 juillet 2015, conditions préalables à la conclusion du troisième mémorandum |3|), n’a fait que renforcer la position des banques par rapport à celle des débiteurs. Elles ont acquis des privilèges importants notamment en matière de facilitation d’expulsion et de vente de biens immobiliers dans le cas des prêts hypothécaires non performants, mettant les ménages déjà fragilisés en position de faiblesse. Le troisième mémorandum a également introduit la possibilité d’une mise en ligne des ventes aux enchères, évitant ainsi les tribunaux de paix et la contestation qui s’y exprime, mais cette loi n’a pas encore été appliquée à cause des grandes grèves des avocats et notaires de ces derniers mois. Les débiteurs que nous défendons sont donc tous victimes, sans exception, des accords conclus par le gouvernement grec avec ses créanciers.

Selon moi, l’obligation imposée aux gens de payer une dette qu’ils ne peuvent pas rembourser pour des raisons qui relèvent d’une cause extérieure à eux est illégitime. (...)

Nous nous rendons aux tribunaux de paix par petits groupes de cinq ou six personnes. Cela dépend du tribunal. À Athènes par exemple, il arrive que nous soyons trente ou quarante parce qu’il y a différentes salles d’audience et nous essayons d’être une dizaine par salle. Légalement, nous avons le droit et même le devoir d’être présents lors de l’audience mais généralement la police vient nous jeter dehors. Ce sont les notaires qui appellent la police. Certains d’entre eux sont d’ailleurs payés par les banques.

Nous avons réussi à annuler certaines ventes aux enchères grâce à des mobilisations massives. Les notaires ont fait grève pendant plusieurs semaines, tous les mercredi, jour des mises aux enchères, notamment grâce à la pression que nous avons exercé. (...)

Rappelons cependant que ces actions de mobilisations contre les ventes publiques qui ont réussi jusqu’à maintenant n’auront bientôt aucun effet puisque toute la procédure sera désormais réalisée en ligne. Nous allons donc devoir changer de stratégie.

En revanche, une chose qui ne change pas c’est que nous continuerons à encourager les victimes à se défendre car c’est leur droit le plus fondamental face à l’État et les banques qui les culpabilisent afin de diviser la population. Ils créent une confusion telle qu’au lieu d’une solidarité sociale face à cet abus flagrant du système financier, certaines personnes, qui sont souvent elles-mêmes victimes de la crise, profitent de cette vague de vente publique pour acheter à bas prix des biens immobiliers.