
Des chercheurs ont analysé les publications des lobbies de la viande en Grande-Bretagne. Ils révèlent les stratégies de communication et de fabrication du doute. (...)
Les scientifiques, qui ont publié leurs résultats le mois dernier dans la revue Food Policy, ont identifié quatre stratégies utilisées pour minimiser les effets sanitaires et environnementaux de la consommation de viande rouge et transformée :
– « le débat reste ouvert »,
– « la plupart des gens n’ont pas à s’inquiéter »,
– « continuez à manger de la viande pour être en bonne santé » et
– « pas besoin de réduire sa consommation pour être écolo ».
Une des manœuvres de communication mises en lumière par l’étude est la production de doute. Une « stratégie cognitive » finement analysée par Joan Cortinas Muñoz et Daniel Benamouzig, sociologues au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po, dans Des lobbys au menu : les entreprises agro-alimentaires contre la santé publique (Raisons d’agir, 2022). (...)
« La stratégie du doute a été inaugurée par l’industrie du tabac aux États-Unis, dit à Reporterre Joan Cortinas Muñoz. Elle consiste à fragiliser la réception des études scientifiques dont les résultats établissent une corrélation entre un produit et une pathologie, la viande rouge et l’infarctus par exemple. Cela passe notamment par le fait de critiquer la méthodologie employée pour conclure que l’étude n’est pas valable, ou de dire que les chercheurs ont des intérêts militants et que donc leurs études sont biaisées. »
Une part d’incertitude et de biais est irrémédiablement présente dans toute production de connaissance, mais les « marchands de doute » cherchent à fragiliser les consensus scientifiques. En générant des controverses et de la confusion, ils empêchent la tenue de débats publics informés et paralysent les décisions politiques au détriment de l’intérêt général. (...)
Rééquilibrer les forces, un enjeu démocratique
Les arguments produits par ces stratégies cognitives sont ensuite diffusés dans les sphères de la décision publique, par le biais de stratégies relationnelles. (...)
Les auteurs de l’étude disent s’attendre à ce que leurs observations s’appliquent également à d’autres pays — c’est ainsi ce que font en France les industriels de la charcuterie en minimisant les dangers des nitrites. lls appellent à la vigilance sur ces stratégies d’influence, dans la mesure où celles-ci peuvent « déterminer la manière dont un sujet est compris, s’il est discuté et l’attention qu’il suscite, et guider le choix des options d’action ». (...)