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Mediapart
Le « wokewashing », la nouvelle stratégie des majors pétrolières
Article mis en ligne le 23 janvier 2022
dernière modification le 22 janvier 2022

La justice raciale, le féminisme et les droits LGBT+ sont de plus en plus mobilisés par les géants pétroliers pour convaincre des bienfaits de leurs activités fossiles. Une pratique récente baptisée « wokewashing » et qui n’a qu’un seul objectif : retarder l’action climatique pour continuer à nous abreuver de pétrole.

(...) Au lendemain du meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis, fin mai 2020, Chevron s’est empressé d’afficher publiquement sur les réseaux sociaux son soutien au mouvement Black Lives Matter. Puis l’entreprise a publié des déclarations de l’ensemble de son équipe dirigeante, le directeur des ressources humaines de Chevron ou le vice-président exécutif dénonçant « le racisme systémique » et « l’injustice raciale ». (...)

Cette opération de communication était terriblement cynique. Aux États-Unis, un·e Africain·e-Américain·e a 1,54 fois plus de risque d’être exposé·e aux pollutions dues aux énergies fossiles que l’ensemble des habitant·es du pays. Chevron est ainsi responsable d’importantes pollutions à Richmond, en Californie, une ville à majorité noire où se trouve une de ses mégaraffineries et où la firme subventionne à grands frais les forces de police locales. Enfin, des rapports de l’organisation américaine de défense des droits civiques NAACP ont démontré en 2019 que Chevron finançait massivement des élu·es conservateurs et conservatrices peu respectueu·ses de l’égalité raciale.

En France, la major pétro-gazière Total semble aussi se soucier nouvellement de la question raciale. (...)

Pour l’année 2020, Total se targue d’avoir accompagné en France 350 personnes ayant un statut de réfugié·es en favorisant leur insertion professionnelle, notamment dans l’apprentissage. « Un engagement qui s’explique par [notre] attachement aux valeurs de diversité et d’inclusion », assure l’entreprise.

Total communique également en fanfare sur sa « politique inclusive » envers les personnes racisées dans les pays étrangers où la compagnie extrait et produit des combustibles fossiles. (...)

C’est que la région incarne un enjeu majeur pour Total. La compagnie y est en train d’ouvrir un nouveau front d’exploitation fossile suite à la découverte d’énormes gisements de gaz en 2019 et 2020 au large de la côte sud du pays.
Du greenwashing au wokewashing

Les récents travaux scientifiques de Robert Brulle, sociologue de l’environnement à l’Université Brown (États-Unis, Rhode Island) ou encore de l’économiste William Lamb, de l’Institut de recherche Mercator sur le changement climatique de Berlin, ont porté sur les dépenses et les discours publicitaires des grandes compagnies pétrolières. Ils démontrent que parmi leurs stratégies de communication destinées à retarder l’action climatique – telles que le greenwashing ou l’optimisme technologique pour résoudre le réchauffement planétaire –, les messages autour de la justice sociale étaient de plus en plus fréquents.

Pour instiller leur « rhétorique du délai », les multinationales fossiles assènent depuis peu que les énergies fossiles ont un impact positif sur les communautés les plus discriminées, voire qu’elles participent à l’émancipation des minorités, l’exploitation du pétrole et du gaz étant synonyme de développement économique, et donc, forcément, de réduction des injustices. Cette nouvelle pratique communicationnelle des industriels a été baptisée par les chercheurs « wokewashing ». (...)

Féminisme de diversion

Total affirme faire « progresser l’égalité entre les sexes et […] promouvoir l’autonomisation des femmes » à travers son soutien à des organisations sociales du Sud ou encore du mécénat culturel comme le sponsoring de l’exposition Divas arabes qui s’est tenue à l’Institut du monde arabe à Paris en 2020. « D’Oum Kalthoum à Dalida, on y découvre des icônes et des pionnières qui sont un modèle d’émancipation pour toutes les générations de femmes », clame l’industriel français.

Ces derniers mois, Total a produit et diffusé deux podcasts estampillés « féministes » qui mettent notamment en avant l’association Rêv’Elles – financée par le pétrolier à hauteur 300 000 euros sur trois ans –, une structure qui accompagne en France des jeunes femmes issues de milieux modestes, « touchées par le poids du déterminisme social » et « les discriminations liées au genre ».

« Entre décembre 2019 et avril 2021, 22 % des publicités de Total étaient consacrées aux questions sociales, y compris sur les thèmes de la diversité et de l’inclusion. » Edina Ifticene, chargée de campagne pétrole à Greenpeace (...)

« Entre décembre 2019 et avril 2021, 22 % des publicités de Total étaient consacrées aux questions sociales, y compris sur les thèmes de la diversité et de l’inclusion, détaille Edina Ifticene. Le féminisme mis en avant par le groupe est d’une hypocrisie hallucinante quand on sait que le changement climatique et l’extractivisme fossile impactent en premier lieu les femmes. C’est une diversion pour détourner le regard des activités du groupe au Mozambique, en Ouganda, ou en cheville avec les régimes autoritaires de pays comme le Myanmar ou l’Arabie saoudite. » (...)

Premier producteur mondial de pétrole, Saudi Aramco, entreprise publique appartenant à l’État saoudien, promeut en grande pompe son engagement pour l’égalité des genres. Alors que l’Arabie saoudite demeure parmi les dix pays au monde les plus discriminants envers les femmes (...)

Alors que seule une femme – une Américaine – siège parmi les onze membres du conseil d’administration du groupe et qu’aucune ne figure parmi les huit membres de l’équipe de direction, Saudi Aramco l’atteste : « Nous donnons à notre personnel les moyens d’agir grâce à des pratiques inclusives et nous créons des opportunités pour les femmes de diriger à tous les niveaux. »
« Une activité intrinsèquement raciste »

L’Américain ExxonMobil, première compagnie pétrolière privée au monde, communique pour sa part sur le fait que l’extraction de l’or noir contribue au bien-être des peuples autochtones et des population locales. (...)

Une funeste ironie. Alors qu’ExxonMobil caracole en tête des premières entreprises responsables des émissions de gaz à effet de serre mondiales depuis 1965, Idai a été qualifié par Amnesty International « d’une des pires catastrophes liées au climat en Afrique australe ».

Quant aux 253 millions de dollars alloués par ExxonMobil à sa « politique de justice sociale envers les communautés locales » en 2019, ils représentent à peine 1,8 % de son résultat net sur cette même année. (...)

« Shell ou Total qui se refont leur image sur la question des réfugiés, c’est un comble ! Ces entreprises continuent, en toute connaissance de cause, l’exploitation des énergies fossiles qui aggrave les dérèglements climatiques et, in fine, pousse les gens des pays du Sud à l’exil, rappelle Anna-Lena Rebaud, des Amis de la Terre. Le business de ces firmes est basé sur la prédation des ressources du Sud, c’est une activité intrinsèquement raciste. » (...)

Instrumentalisation des droits LGBT+ (...)

Le paroxysme le plus absurde du wokewashing a néanmoins été atteint en novembre dernier à la COP 26 de Glasgow et provient du Gas Exporting Countries Forum (GECF), une alliance de 18 pays exportateurs de gaz, nations où les majors pétrolières extraient actuellement leur gaz fossile.

Protestant contre le fait que l’accord final de Glasgow a souligné, première historique, la nécessité de diminuer le recours aux hydrocarbures, le GECF a pointé, dans sa déclaration finale, qu’il était victime de la cancel culture contre les énergies fossiles.