
Dans Les Chiffonniers de Paris, Antoine Compagnon montre comment la figure du chiffonnier irrigue toute la littérature du XIXe siècle. Il en fait la métaphore du poète, citant Baudelaire : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. » C’est en lisant ce livre que nous avons réalisé que le trottoir était une invention récente, qui se déploie à Paris à la même époque que les grands réseaux d’infrastructure.
Dans le même temps, nous suivions avec intérêt l’irruption dans la fabrique urbaine d’une des principales plates-formes mondiales : en 2015, Alphabet, la maison mère de Google, créait une filiale qui, dès 2017, commençait à travailler sur un premier projet urbain à Toronto. Cette société s’appelait Sidewalk Labs : « les laboratoires du trottoir » ! Si ce nom était lié au fait qu’un de ses premiers développements, à New York, était l’installation de bornes « intelligentes » sur le trottoir, il invitait à se demander : et si le trottoir était l’objet urbain qui incarne le mieux les mutations de la ville ?
Suivre le fil du trottoir s’est ainsi avéré un chemin fécond qui permet de saisir l’un des principaux changements à l’œuvre dans la ville. (...)
« Le trottoir est à tout le monde » peut-on parfois entendre dans la rue à l’occasion d’un différend sur l’occupation de l’espace public. C’est le sentiment du promeneur et des habitants des villes qui en sont dotées. Mais est-ce encore vraiment le cas ? Le trottoir est-il encore un espace public, utilisable librement par tous et en toutes circonstances ?
Isabelle Baraud-Serfaty, spécialiste des questions urbaines, pose ici la question et montre comment les trottoirs qui bordent la chaussée des villes ont évolué au fil du temps. (...)
il suscite donc de plus en plus de convoitises de la part des opérateurs de plates-formes numériques : une nouvelle couche, « informationnelle », se développe sur les trottoirs (plus particulièrement sur les bordures de trottoir), qui peut être exploitée à des fins de service aux usagers mais aussi à des fins commerciales. (...)