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Le massacre de la Saint-Barthélemy : cartographie d’une tuerie de voisinage
Jérémie Foa, Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy. La Découverte, coll. « À la source », 326 p., 19 €
Article mis en ligne le 26 août 2022
dernière modification le 25 août 2022

Hantant depuis quatre siècles et demi une mémoire nationale et un pays qui cherche à l’exorciser, le massacre de la Saint-Barthélemy mérite qu’on s’y attarde sous un nouveau jour.

Le massacre de la Saint-Barthélemy est le massacre de protestants par des catholiques déclenché à Paris, le 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy, prolongé pendant plusieurs jours dans la capitale, puis étendu à plus d’une vingtaine de villes de province durant les semaines suivantes et même les mois suivants.

Le massacre de la Saint-Barthélemy hante notre pays. Dans un Paris qui ne comptait qu’un quart de la population d’aujourd’hui, 3.000 à 4.000 Huguenots (les protestants du royaume de France et du royaume de Navarre) furent anéantis en trois jours de la fin août 1572. Il est arrivé, pendant les quatre siècles et demi qui nous séparent de ces événements, qu’on en trouve des traces archéologiques au hasard d’un chantier dévoilant un charnier. La France comptant en 1572 un peu moins de 16,5 millions d’habitants, ce sont environ 10.000 protestants qui furent massacrés, par salves successives (Paris, Rouen, Lyon, Toulouse, etc.). À l’échelle de notre démographie actuelle, il s’agirait de 40.000 morts en quelques journées ou nuits.

Exorciser le risque de sa répétition a longtemps été un but premier de la politique du royaume de France puis des deux Empires comme des cinq Républiques successives. (...)

Partout dans Paris, des noms de rues et de paroisses évoquent le plus impitoyable massacre de notre histoire. Partout, à bien y regarder, adresses, lieu d’exécution, voire d’inhumation de masse ont subsisté et franchi les décennies puis les siècles. (...)

Qui étaient ces milliers de victimes ? Qui étaient leurs bourreaux ? Une foule avide de sang ? Ou plutôt d’autres habitants du quartier ? (...)

Jérémie Foa et « Tous ceux qui tombent »

Dans son récent et remarquable ouvrage Tous ceux qui tombent – Visages du massacre de la Saint-Barthélemy (La Découverte), Jérémie Foa livre une enquête qui trouble le lecteur à maints égards. Bourreaux ou victimes, les personnes ressuscitées par le travail de Foa nous semblent actuelles. Les noms de rue, les lieux mentionnés, tirés des archives notariales de la fin de l’été 1572, et l’étude des registres d’écrous de la Conciergerie rendent le massacre comme sa préparation d’un réalisme saisissant.

Il n’y a pas, selon Foa, de préméditation, mais un conditionnement progressif de tous les acteurs de la Saint-Barthélemy, tant des bourreaux que des victimes, qui furent persécutées pendant les années 1567-1570. Si terrifiant que cela puisse paraitre, c’est l’interconnaissance qui est le facteur décisif des massacres. Au-delà des relations entretenues (souvent fort mauvaises depuis les années de persécution de la fin 1560), tous les acteurs de ce massacre se connaissaient. (...)

Pas de réaction des Parisiens qui, loin d’être une foule déchaînée, ont surtout assisté passivement aux massacres. (...)

les portraits de victimes comme des bourreaux dessinent une sorte de cartographie du massacre qui, par les patronymes et les lieux évoqués, s’avère d’une actualité troublante. (...)

Très probablement, c’est à un emprisonnement rappelant les années de persécution précédentes que s’attendaient naïvement les victimes. Pas de rébellion des protestants de Paris, pas de réaction des Parisiens qui, loin d’être une foule déchaînée, ont surtout assisté passivement aux massacres, davantage effectifs derrière les murs et les portes des demeures des victimes ou des bourreaux que dans la rue.
La mort à domicile

Des années durant, un mauvais contrôle de ses affects, un geste ou une émotion, pouvaient trahir une appartenance au protestantisme. Ne pas faire carême menait en prison. De cet emprisonnement, restaient nom, adresse et visage du futur supplicié de 1572. Le contrôle des corps, l’autocontrôle de l’individu pavaient la vie quotidienne de chacun. Vint le temps du massacre, où les souvenirs d’emprisonnement, les suspicions d’hier ou du moment présent précipitèrent la mécanique meurtrière. Frères, beaux-frères, gendres, fils : les assassins opèrent seuls ou en groupes, livrant la mort à domicile ou opérant en bord de Seine dans des demeures ayant accès au fleuve (...)

Dans ce massacre de masse, on distingue le déchaînement d’un savoir-faire méthodique et des attitudes très humaines, allant du pire au meilleur.

Ces crimes ont par la suite été tus. Les bourreaux ont parfois vécu vieux, sans comptes à rendre puisque personne ne semble en avoir véritablement demandé. Ou très timidement. Extrêmement troublant est le fait que nombre de Parisiens, de Français mènent une vie normale pendant et à côté des massacres. On signe un bail, une embauche et… on baptise. Les tueries se déroulent dans une société qui vaque à ses occupations, si bien qu’une famille peut baptiser son dernier-né alors que ses voisins se font massacrer le jour même. (...)

D’autres protègent des voisins, sauvent des enfants, en cachent ou en arrachent in extremis à la mort. (...)

De cette galerie de portraits de victimes et de bourreaux, on peut déterminer le niveau de connaissance ou d’implication des Valois, Anjou, Alençon, comme de leur mère Catherine de Médicis et de Charles IX. Mais pour en déterminer et mesurer l’implication, il faut urgemment lire Tous ceux qui tombent. Responsables uniquement de l’assassinat d’une vingtaine de chefs protestants, ils ont tout su du massacre et trop de leurs proches sont impliqués, cités, aperçus sur les lieux des massacres pour les innocenter.

Le premier responsable d’un massacre reste néanmoins celui qui massacre, ce qui est à méditer tant la Saint-Barthélemy, qui s’est déroulée il y a 450 ans, a en fait eu lieu hier à l’échelle de l’histoire de l’humanité.

Lire aussi :
 editions La Découverte ;
Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy

Fin août 1572. À Paris, des notaires dressent des inventaires après décès, enregistrent des actes, règlent des héritages. Avec minutie, ils transcrivent l’ordinaire des vies au milieu d’une colossale hécatombe. Mais ils livrent aussi des noms, des adresses, des liens.
Puisant dans ces archives notariales, Jérémie Foa tisse une micro-histoire de la Saint-Barthélemy soucieuse de nommer les anonymes, les obscurs jetés au fleuve ou mêlés à la fosse, à jamais engloutis. Pour élucider des crimes dont on ignorait jusqu’à l’existence, il abandonne les palais pour les pavés, exhumant les indices d’un massacre de proximité, commis par des voisins sur leurs voisins. Car à descendre dans la rue, on croise ceux qui ont du sang sur les mains, on observe le savoir-faire de la poignée d’hommes responsables de la plupart des meurtres. Sans avoir été prémédité, le massacre était préparé de longue date – les assassins n’ont pas surgi tout armés dans la folie d’un soir d’été. (...)

 « Tous ceux qui tombent » de Jérémie Foa : La Saint-Barthélemy des autres

Tout n’avait pas été dit sur la Saint-Barthélemy. Tous ceux qui tombent de Jérémie Foa est un livre important sur le massacre, qui étend la galerie de portraits aux inconnus. Plus marquante encore est la capacité de ce livre à se faire méditation sur le travail historique, affrontant avec une radicalité profonde l’inachèvement de l’enquête en train de se faire. (...)

 Jérémie Foa : « La Saint-Barthélemy était un massacre entre voisins »
Qu’a de particulier la plaque rendant hommage aux victimes de la Saint-Barthélemy à Paris ?

Les autres plaques déjà existantes ont plutôt tendance à mettre en valeur des histoires ou des figures positives. (...)

L’apposition de la plaque à Paris est bienvenue parce qu’en rendant hommage aux victimes de la Saint-Barthélemy, elle rappelle qu’il y a eu avant tout beaucoup de bourreaux, plutôt que des rescapés ou des « héros ». C’est surtout de cela dont il faut se souvenir.

La Saint-Barthélemy marque-t-elle un tournant dans l’histoire du protestantisme français ?

Pas sur le plan du réel. Elle a certes provoqué la mort de milliers de personnes. Mais le protestantisme français n’est pas mort après la Saint-Barthélemy. Elle ne l’a pas éradiqué.

Sur le plan de la pensée politique, en revanche, elle a eu des conséquences majeures. La Saint-Barthélemy va pousser le protestantisme à développer des théories contractualistes sur le tyran, une trentaine d’années après l’événement. (...)

Paradoxalement, la Saint-Barthélemy a plus été un tournant pour les catholiques que les protestants. L’historien Denis Crouzet l’a bien expliqué : la Saint-Barthélemy est le dernier véritable massacre à connotation religieuse de catholiques français contre des protestants. (...)

En quoi la Saint-Barthélemy se distingue-t-elle d’autres massacres entre protestants et catholiques français ?

Certaines violences de masse contre les protestants s’expliquent par un désir de revanche sociale. Car les protestants étaient, en général, socialement plus élevées, plus lettrés, plus riches.

Alors que la « pulsion » religieuse est la principale clé d’explication de la Saint-Barthélemy. Elle a été perpétrée par la foule catholique de Paris. À cette époque, il n’existait pas de « listes » ou de bureaucratie recensant les protestants de la capitale. La seule personne à même de savoir si une autre était protestante, c’était son voisin. Lui seul ou presque savait si la personne n’allait pas à la messe.

Les bourreaux de la Saint-Barthélemy en ont probablement profité pour se débarrasser des voisins avec lesquels existaient de vieilles haines, de vieux conflits, des rancœurs. On retrouve cette motivation dans de nombreux massacres récents, comme en ex-Yougoslavie par exemple.