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Le massacre de Thiaroye s’invite à l’Assemblée nationale mais…
Armelle MABON historienne
Article mis en ligne le 9 novembre 2020

L’Assemblée nationale a évoqué le massacre de Thiaroye. Mais nos espoirs ont été déçus par la lecture du rapport. Un premier pas a été fait mais il faut bien regarder l’histoire et comprendre cette révélation sur les fosses communes.

Lorsque j’ai découvert le discours à l’assemblée nationale devant la ministre des armées du député Philippe Michel-Kleisbauer remplacé, pour cause de covid-19 par un collègue, j’ai senti une profonde satisfaction avec une lueur d’espoir tout en étant gênée par la présentation d’hommes démobilisés avant le massacre.

Trois historiens ont été auditionnés sur ce fait historique dans le cadre de l’avis fait au nom de la commission Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de Finances pour 2021 pour les crédits « Anciens combattants, Mémoire et Liens avec la Nation » : Pascal Blanchard, Martin Mourre et moi-même. Choisir d’évoquer Thiaroye 44 démontre un certain courage politique et je remercie Philippe Michel-Kleisbauer d’avoir osé mettre en lumière ce massacre de tirailleurs sénégalais ex-prisonniers de guerre commis par l’Armée française le 1er décembre 1944. (...)

Martin Mourre a publié un livre entièrement consacré à Thiaroye : Thiaroye 1944 Histoire et mémoire d’un massacre colonial, PUR, 2017. Pascal Blanchard, dans son ouvrage co-dirigé avec Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire Décolonisations françaises La fin d’un Empire, éditions de La Martinière, 2020, deux pages illustrées sont consacrées au massacre de Thiaroye. Pour ma part, j’ai transmis au député le chapitre entièrement revu et renommé « Thiaroye : un mensonge d’Etat » de mon livre Prisonniers de guerre « indigènes » Visages oubliés de la France occupée, La Découverte, réédité en 2019.

Une écoute sélective et dangereuse pour l’Histoire

A la lecture du rapport, j’ai compris, une fois encore, que les politiques écoutaient un historien médiatique mais qui ne fait aucune recherche, ni fouille d’archives et non les historiens qui ont passé des heures et des heures et même des années à éplucher tant et tant d’archives, à retrouver les témoins et les familles et à questionner les sources permettant de s’approcher d’une vérité sur ce massacre prémédité présenté comme une rébellion armée dans les archives consultables. (...)

Je suis donc amenée à signaler toutes les erreurs alors que ce rapport ne peut être corrigé et est donc diffusé en l’état sans que nous ayons pu en faire une lecture préalable.

(...)

Comment nous, historiens intègres et respectueux du combat des associations et des familles pour la vérité et la justice, pouvons-nous éclairer les politiques et notamment les ministres, les députés si notre travail est sabordé, mis sous le tapis, écorché, dénaturé ? Nous devenons des invisibles face à des historiens médiatiques, adulés, courtisés et influents mais qui mettent l’éthique de notre discipline en berne. La rigueur ne doit pas être un vain mot. Ce rapport doit impérativement et à titre exceptionnel être revu et corrigé. Les martyrs de Thiaroye et leur famille n’ont pas à subir une porosité entre une présentation historique peu scrupuleuse mais envoutante et une acceptation politique naïve. Nous ne savons pas ce qui se passe dans les coulisses des ministères pour qu’un mensonge d’Etat puisse ainsi se pérenniser jusqu’à l’indécence. Pouvons-nous encore espérer une prise de conscience du pouvoir politique afin qu’il se soumette à la clairvoyance, au courage, à la sincérité et à la lucidité ? Faut-il qu’il y ait une chaîne humaine le 1er décembre 2020 autour des fosses communes à l’endroit du massacre pour que cessent enfin ces arrangements avec l’Histoire d’un massacre d’Africains venus se battre en France contre l’ennemi et qui ont réclamé leur solde de captivité ?