
J’ai laissé faire. Non pas par nostalgie de la lecture d’Adam Smith, mais simplement pour emmerder la voisine aux cheveux courts et à la mâchoire carrée. Ce n’est pas tant que je crois à la morphopsychologie - pas plus qu’aux magazines féminins - mais plutôt à la force des rides : j’y vois à la fois une forme de sédimentation du manque d’humour et l’érosion classique des masques au dégoût permanent. La voisine aime les pesticides, les insecticides, les choses comme ça.
J’ai laissé faire le jardin.
Le jardin m’a dépassé. Je n’ai pas les outils pour tailler les arbres, les clématites, les tilleuls, les lilas, je ne sais pas quoi encore, ces arbustes dont j’ignore le nom. J’ai appelé des élagueurs pour faire le boulot. La voisine a en quelque sorte gagné, même si je balance en secret des graines de potirons enrobées de fumier à chaque printemps, dans les recoins accessibles de sa pelouse au cordeau. L’année prochaine, je balance un stock de pissenlits parachutistes.
Un élagueur est venu. Trois quarts d’heures de retard. Oubli complet. Je l’ai appelé pour l’engueuler mais il m’a promis de venir au plus vite. Il avait le petit bide des types de la trentaine qui ne savent pas à quel point le temps passe vite. Il était singulier. Surtout quand il m’a avoué qu’il aimait mon jardin. Que ça lui faisait du bien un jardin comme ça. Bucolique. Campagnard. Désordonné. Sauvage. Mélancolique. Polnareffien.
Il avait du vocabulaire. (...)