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Le grand retour du sabotage
#luttesecologistes #sabotages #technoluttes #urgenceclimatique
Article mis en ligne le 3 octobre 2022

partie 1 de l’enquête : « Le sabotage, quand protester ne suffit plus »

Le temps de la protestation polie est peut-être définitivement révolu. À mesure que la catastrophe climatique se précise et devient de plus en plus palpable, le sabotage revient sur le devant de la scène. Sa pratique gagne en légitimité et se généralise au sein du mouvement écologiste.

Il suffit de voir son essor ces derniers mois, au cœur d’un été suffocant : des dizaines de greens de golf ont été bouchés au béton, des jacuzzis détruits et des SUV dégonflés dans plusieurs villes du pays. Dans le sud de la Vendée, plusieurs mégabassines — des réserves d’eau immenses — ont été débâchées. Face à l’urgence climatique, des activistes ont décidé de cibler directement les responsables du désastre et les comportements polluants des plus riches.

« une forme renouvelée de désobéissance civile ». Une nouvelle manière de dire non et d’assumer la fracture dans une époque gangrenée par le greenwashing où tout le monde se prétend écolo. (...)

Avec le sabotage, il ne s’agit plus seulement de se faire entendre ou d’espérer vainement être écouté par le pouvoir, les activistes veulent très concrètement entraver, gêner et ralentir la machine qui nous menace, « combattre le feu par le feu » [1]. « Si quelqu’un a placé une bombe à retardement dans votre maison, vous êtes en droit de la débrancher et de la détruire », affirme ainsi le chercheur Andreas Malm dans Comment saboter un pipeline, un livre qui a connu un certain succès dans le milieu militant.
« Il n’est plus possible de militer comme nous le faisions avant »

Aujourd’hui, aucun secteur économique n’est épargné. Des distributeurs de billets de banque sont mis hors service. Des milliers de trottinettes électriques sont sabordées. Chaque mois, des antennes relais 5G continuent de brûler. Des compteurs Linky sont démontés. Pour lutter contre l’exploitation forestière, des abatteuses sont incendiées.

En région parisienne, des usines de ciment Lafarge sont attaquées. À Bure (Meuse), des sous-traitants du nucléaire sont pris pour cible, la voie ferrée qui devait acheminer les déchets radioactifs est endommagée. Dans le Bugey (Ain), des antispécistes ont mis le feu à un abattoir. Partout, des miradors de chasse sont dégradés. Pour dénoncer l’élevage hors-sol, d’autres activistes ont même vidé un wagon de céréales en mars dernier tandis que des vendanges sauvages ont pillé le vignoble de Bernard Arnault cet été. (...)

Les actions se multiplient aussi sur le front des luttes locales, où le sabotage est pleinement revendiqué pour freiner les grands projets dits inutiles. (...)

« Il y a clairement une popularisation de ce mode d’action », estime un membre de l’équipe des Soulèvements de la Terre. Le militant antinucléaire et antiLinky Stéphane Lhomme y voit « une résistance diffuse » : « Nous sommes dans une période très mouvante de l’histoire. Des portes s’ouvrent, avec de nouveaux imaginaires et de nouvelles pratiques. »

Cette dynamique s’inscrit dans un contexte général, qui touche tout le monde occidental. (...)

Les militants n’hésitent plus à se filmer, à se mettre en scène, à communiquer massivement. On se montre en train d’agir, en train de bloquer physiquement la machine.
« Une radicalisation express »

Le sabotage a toujours existé dans les luttes écolos, mais il semble aujourd’hui acquérir une plus grande acceptabilité. L’enquête sociologique sur la « génération climat » menée par le CNRS en 2021 met en exergue la tolérance de la nouvelle génération à « la violence physique sur des objets », en particulier chez celles et ceux engagés dans Alternatiba, ANV-COP21 ou Extinction Rebellion.

De manière plus générale, un tiers des Français disent comprendre le recours à des actes violents pour s’opposer à des décisions politiques. Ce sentiment est partagé par 15 % des plus de 65 ans et par 47 % des 18-24 ans, selon une étude de Harris Interactive. Ces chiffres sont complètement inédits sous la Ve République.

« Les règles du jeu ont volé en éclats »
(...)

Le rôle pivot de la zad

« Il y a aussi une humeur anarchiste propre à notre époque, analyse un membre d’Extinction Rebellion ayant participé à des actions de dégonflage de pneus. Nous trouvons plus de sens à nous organiser par le bas, par nous-même, via des petits groupes affinitaires en agissant concrètement contre les pollueurs, plutôt qu’à être aux ordres de certaines ONG aux happenings trop souvent inoffensifs. »

La porosité entre le mouvement écologiste et le milieu libertaire, très présent sur les zad, a sûrement joué un rôle. Les liens se sont raffermis ces dernières années. La bataille de Notre-Dame-des-Landes et la séquence qu’elle a ouverte avec la multiplication des luttes territoriales ont nourri les réflexions stratégiques et les occasions de rencontre. (...)

Cet imaginaire s’est peu à peu répandu. « Les mouvements sociaux sont désormais plus intelligents, moins identitaires, veut croire un compagnon de route du mouvement climat, qui souhaite rester anonyme. (...)

La circulation entre les mondes se fait plus facilement, les militants échangent abondamment. Des membres des Soulèvements de la Terre ont par exemple été invités à participer aux journées d’été de Greenpeace et de la CGT en août dernier.
« Retourner l’arme de l’ennemi contre lui-même »

Au creux de ces réflexions, d’anciens récits ressurgissent, ils réactivent une mémoire militante parfois trop sélective. On redécouvre peu à peu les gestes offensifs qu’ont pu avoir nos aînés, avec les campagnes de sabotage contre le nucléaire, les OGM ou l’élevage industriel. (...)

La penseuse écoféministe Françoise d’Eaubonne a même forgé le concept de « contre violence » pour qualifier les sabotages écologiques. « Une action très indiquée dans le retournement de l’arme de l’ennemi contre lui-même », déclarait-elle [3].

Les militants actuels parlent désormais de « désarmement », une subtilité sémantique qui bouscule les imaginaires politiques. (...)

50 nuances de sabotage écolo (...)