À contresens de l’urgence climatique, le texte adopté ce matin par l’Assemblée nationale prévoit la relance d’une centrale à charbon et l’installation au Havre d’un terminal pour importer du gaz de schiste. L’État vient en prime de signer, sous l’égide de Total, un accord avec les Émirats arabes unis pour se fournir en diesel.
Tandis que la France suffoquait et que la Gironde brûlait, l’État français s’est comporté en pyromane du climat. C’est en substance ce qui transparaît à la lecture du projet de loi « pouvoir d’achat » adopté vendredi matin par l’Assemblée nationale, grâce aux renforts des groupes RN et LR. Car le texte recèle une véritable bombe climatique, tapie sous trois articles glissés parmi la vingtaine votés. (...)
un terminal flottant sera installé dès septembre 2023 sur les côtes havraises, après avoir été rapatrié de Chine par la compagnie Total. (...)
Une décision en complète contradiction avec l’urgence climatique, qui s’est illustrée ces derniers jours par des dizaines de milliers d’hectares de forêts brûlés et un mercure atteignant les 40 °C en Bretagne.
En effet, ce GNL est essentiellement issu de gaz de schiste, dont l’extraction est désastreuse pour les écosystèmes et d’ailleurs interdite en France depuis 2011.
Il est surtout extrêmement climaticide. (...)
Dans son rapport annuel publié le 29 juin dernier, le Haut Conseil pour le climat a alerté : alors que le rythme annuel de réduction des émissions de la France devra doubler sur la période 2022-2030, « la substitution du gaz russe par du gaz importé sous forme de GNL pourrait générer […] une augmentation de l’empreinte carbone de la France ».
Un Code de l’environnement écrasé
Au nom de « l’intérêt général », d’après le gouvernement, l’article 14 instaure même certaines dérogations pour s’affranchir des études d’impact environnemental nécessaires à l’installation de ce type d’infrastructure. (...)
Enfin, l’article instaure aussi la possibilité de « raccourcir le délai de consultation des communes traversées par la canalisation de transport de gaz visant à raccorder le terminal méthanier flottant au réseau ».
« Que fait un article sur l’extension d’installations gazières dans une loi sur le pouvoir d’achat des citoyens ?, déplore François Chartier, chargé de campagne énergies fossiles chez Greenpeace France. Ce n’est pas en se donnant les moyens d’importer plus d’énergies fossiles que l’on en sortira ! » (...)
À la veille de la transmission du projet de loi pouvoir d’achat au Conseil d’État puis à l’Assemblée nationale, Élisabeth Borne déclarait pourtant : « Nous serons la première grande nation écologique à sortir des énergies fossiles. »
Députée LFI de la quatrième circonscription de Seine-Maritime, Alma Dufour explique à Mediapart : « Ce nouveau terminal verrouille notre avenir énergétique dans le gaz fossile. L’énergéticien français Engie, qui va faire le raccordement de l’infrastructure au réseau, vient de signer un contrat d’approvisionnement en GNL sur quinze ans avec les États-Unis. Et Total est le numéro deux mondial du GNL. En somme, ce terminal va permettre à ces deux firmes d’écouler le GNL, énergie dans laquelle elles ont énormément investi ces dernières années. »
« Le plus cynique, c’est que le GNL est une énergie chère et au coût très volatil, avance Anna-Lena Rebaud, des Amis de la Terre. En un an, le prix journalier sur le marché de gros de gaz européen a augmenté de 490 % : ça n’a aucun sens en termes de pouvoir d’achat pour les ménages les plus modestes. »
Coke en stock
Pour leur part, les articles 15 et 16 du projet de loi encadrent un éventuel recours à la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle). L’infrastructure avait pourtant fermé le 31 mars, conformément à la promesse d’Emmanuel Macron d’arrêter les centrales à charbon d’ici à 2022. Mais le ministère de la transition énergétique veut pouvoir redémarrer temporairement la centrale mosellane pour sécuriser la production d’électricité en France. (...)
Pour pouvoir rouvrir dès cet hiver la centrale de Saint-Avold, une dérogation qui permettra de réembaucher d’ancienn·es salarié·es licencié·es du site a été insérée dans le texte. Les deux articles 15 et 16 mentionnent aussi le relèvement par décret du plafond d’émissions de gaz à effet de serre autorisé pour ce type d’installation fossile. (...)
Mais le gouvernement le promet : ces émissions supplémentaires seront compensées. L’article 16 institutionnalise ce greenwashing en ces termes : « Afin de limiter l’impact climatique d’un tel rehaussement, il est souhaité que les émissions allant au-delà du plafond actuel fassent l’objet d’une compensation carbone, via des projets de réductions des émissions de gaz à effet de serre dans un autre secteur ou d’augmentation de l’absorption de CO2. »
Les bancs de la gauche ont déposé, en vain, de nombreux amendements pour supprimer dans le texte l’installation du nouveau terminal GNL et le possible recours à la centrale à charbon de Saint-Avold, ou encore pour limiter les dérogations au code de l’environnement. Toutes les modifications proposées ont été rejetées. (...)
Pétrole partout, sobriété nulle part
Pendant que le gouvernement défendait son projet de loi « pouvoir d’achat », le chef de l’État recevait les 18 et 19 juillet, en plein pic de chaleur, Mohamed ben Zayed Al Nahyane, président des Émirats arabes unis.
Reçu au Grand Trianon, dans le parc du château de Versailles, le cheikh de cette pétromonarchie est venu pour la signature d’un accord entre Total et Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc), la compagnie pétrolière nationale émirienne.
Le partenariat conclu entre les deux entreprises vise à développer des projets de production de gaz et de pétrole aux Émirats arabes unis, mais surtout à approvisionner la France en diesel. (...)
L’Élysée s’est aussi félicité de la création d’un Conseil d’affaires franco-émirien pour « développer les opportunités commerciales bilatérales », qui sera présidé par Patrick Pouyanné, le PDG de Total, et par le sultan Al-Jaber, ministre de l’industrie des Émirats arabes unis et patron d’Adnoc.
« Les deux chefs d’État ont souligné que l’action climatique constitue une priorité commune essentielle et réaffirmé des objectifs ambitieux dans ce domaine », assure un communiqué conjoint des deux pays.
En cinq jours, et alors que la France vivait sa deuxième canicule en moins d’un mois, Emmanuel Macron et le gouvernement d’Élisabeth Borne ont ainsi réussi le tour de force de perpétuer notre dépendance au pétrole, au gaz et au charbon à l’heure où l’Espagne, l’Italie ou le très libéral Royaume-Uni ont instauré une taxe temporaire sur les profits des géants pétroliers et où de nombreux pays européens ont pris des mesures de quasi-gratuité des transports publics. (...)
Olivier Véran, a appelé ce mercredi 20 juillet tous les Français·es à « débrancher un maximum de prises électriques » et à « couper le wifi » durant leurs vacances.
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La loi pouvoir d’achat a été adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture dans la nuit du jeudi 21 au vendredi 22 juillet. Le texte a reçu le soutien des députés Les Républicains et Rassemblement national. Les députés de l’alliance de gauche Nupes s’y sont en revanche fortement opposés.
Il contient notamment un ensemble de mesures censées renforcer la « souveraineté énergétique » de la France, et lui permettre de faire face l’hiver prochain à la baisse des importations de gaz russe et aux déboires des centrales nucléaires. Reporterre a détaillé ces mesures, qui renforcent la dépendance de la France au gaz de schiste et au charbon, plutôt que promouvoir les économies d’énergie et le développement des renouvelables. (...)