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Non-Fiction
Le futur diverge, l’homme converge
Un questionnement socio-philosophique sur l’avenir de l’homme à l’heure d’une divergence posthumaniste de son futur.
Article mis en ligne le 10 septembre 2015
dernière modification le 3 septembre 2015

« On peut mourir d’être immortel »

a pu dire Nietzsche, faisant parler Zarathoustra. A l’heure où l’idéologie transhumaniste semble avoir le vent en poupe, nous ne pouvons que réactualiser cette observation nietzschéenne liée au concept d’éternel retour du même. Ainsi assisterions-nous à un décès en effet, celui de l’homme devant sa possible immortalité promise par les utopies du posthumain.

Si pour le philosophe allemand la matière constituant l’univers et notre monde est composée d’une multitude de combinaisons finies, cela signifie qu’à un certain moment les mêmes combinaisons reviennent pour former la même matière. Les hommes faisant partie du monde et étant constitués de matière, eux aussi subiraient cet « éternel retour du même » à travers le recommencement permanent de leur vie, de ses détails et évènements existentiels. C’est à partir de cette expérience de pensée que Nietzsche déduit deux attitudes possibles.

La première consisterait à trouver cet éternel retour du même insupportable. Le fait de devoir revivre l’ensemble des évènements caractérisant notre vie occasionnerait une angoisse et un désir effréné de s’y substituer. La fuite de cette roue tournant sans fin deviendrait le principal objectif, avec au bout ce risque de mourir d’immortalité. La responsabilité à vivre serait donc reniée.

La seconde voudrait, quant à elle, faire de cet éternel recommencement la possibilité d’une acceptation pleine et sereine de la vie. En somme, cela reviendrait à adopter une attitude positive face à la vie, de telle sorte que les évènements désagréables et douloureux comme ceux plus heureux, seraient acceptés comme faisant partie de la vie que l’on a à mener. Pareille attitude, dans laquelle s’exprime ce que Nietzsche qualifie de « volonté de puissance », permettrait d’une part de prendre conscience de notre position dans le monde, et d’autre part de ne plus éprouver d’angoisse face à cet éternel retour du même, mais bien au contraire, de le considérer comme la chance de pouvoir vouloir augmenter sa vie, de la rendre plus puissante au point d’atteindre le Surhomme. Force du vouloir qui s’exprime à travers cette seconde attitude, capable de permettre à la vie humaine de devenir ce qu’il y a de plus beau, de plus harmonieux et de plus noblement humain. C’est ainsi que doit être compris le Surhomme, comme l’œuvre d’art d’une vie peinte par l’homme lui-même, et non comme un mutant biologiquement augmenté.

Or, aujourd’hui, il semblerait que les sociétés humaines contemporaines aient opté pour la première attitude. Le rêve d’une vie illimitée se dessine au fur et à mesure que se déploie l’idéologie transhumaniste, au service des utopies du posthumain. A travers ce rêve, dont l’impossibilité tend à s’atténuer face à la réalité des progrès biotechnologiques, il s’agirait de laisser mourir l’homme de chair afin de sauver l’esprit pour le rendre immortel.

L’homme doit mourir pour être immortel en effet, et les statues de la Grèce Antique qui faisaient l’éloge de la beauté du corps en lien avec une philosophie du souci de soi, devront éclater en mille morceaux sous le poids de cyborgs résultant d’un profond oubli de soi.

« Le choc numérique » : une divergence majeure

Voilà que s’ouvre à peine l’anthropocène, cet « âge des hommes », que déjà, il nous faut le quitter, peu glorieux de notre œuvre. (...)

« Nous sommes tous partie prenante de la grande marche de l’humanité à la conquête d’elle-même dans un univers étrange » a pu dire l’artiste et philosophe canadien Hervé Fischer, en introduction de son dernier ouvrage, La divergence du futur. Le futur diverge et avec lui l’ensemble du monde humain. Le destin n’existe pas comme le rappel l’auteur, et c’est bien pour cela que le futur de l’humanité a toujours divergé ; parce qu’il n’était pas voué à un destin particulier, à un quelconque déterminisme.
Serait-ce possible alors que nous atteignons un jour la divergence ultime ? Celle à partir de laquelle le futur de l’humanité aura cessé d’être un avenir ouvert à l’infini des possibles ? Où l’histoire des hommes aura tout simplement trop grandement divergé pour que des hommes l’habitent encore ? C’est bien ce qui semblerait se dessiner à travers l’idéologie transhumaniste. Observant avec minutie ce qu’il nomme la « loi de la divergence », Fischer montre combien notre environnement social, culturel ou biologique se trouve aujourd’hui soumis à cette loi.
(...)

« La divergence est une loi universelle de la nature » affirme Fischer, et depuis la création du numérique, jamais elle n’aura été aussi puissante et rapide. De ce fait, l’homme ne se présente plus « comme le maître et possesseur de la nature », mais comme le sujet et possédé de l’artificialité qu’une technologie alliée à un système d’organisation capitaliste aura fait naître. Et Fischer de dire que « non seulement l’homme renonce à l’unité profonde avec le monde dont il jouissait dans les cosmogonies primitives, mais il perd aussi le sens du réel, la gravité qui assurait son équilibre, et les racines d’où il tirait sa sève. Il passe d’une identité psychologique à une identité électronique. C’est cette même apesanteur fantasmatique et vertigineuse qu’on retrouve dans les métaphores du cybermonde, et qui est une sorte de catastrophe ou de précipitation ontologique » .

Face au fantasme transhumaniste et aux utopies du posthumain qu’il dessine, l’homme, de plus en plus coupé du réel par la virtualité en expansion, ce réel autrefois synonyme de responsabilité à être, c’est-à-dire à ex-sister comme Etre de projet dans une définition humaine de l’humain, cet homme donc tend à quitter la pesanteur d’un corps que d’aucuns jugent aujourd’hui faible et obsolète, afin de s’envoler en direction de cette immortalité promise, de ces prophéties mélioratives. Telle une fuite en avant, ces utopies délaissent tout type de questionnement dont l’urgence présente est pourtant bien réelle, afin de préférer un monde où l’homme s’efface au profit de la machine, dans un nouvel univers écranique. Eradication de la maladie, de la douleur ; augmentation des performances physiques et intellectuelles ; créativité et inventivité décuplées ; jeunesse et beauté éternelles… mais à quelle condition ? Par quel pacte faustien l’homme acceptera de s’envoler vers le nouveau fantasme contemporain du transhumaniste, et ouvrir les portes d’une perception sur un infini non plus humain mais post-humain, pour ne pas dire in-humain. (...)