
Si l’on devait résumer le macronisme en une seule expression, je pense que beaucoup opterait pour le double discours (ou le double langage au choix). Depuis le lancement de sa campagne présidentielle jusqu’à la politique menée par son gouvernement, Emmanuel Macron a effectivement porté à un niveau jamais vu le cynisme et le mensonge. Il ne s’agit évidemment pas de dire que ces deux plaies sont nées avec Monsieur Macron mais il ne me semble toutefois pas absurde de dire qu’il les a portées, avec une constance certaine, à un certain paroxysme.
Le successeur de François Hollande a même théorisé ce double discours tout au fil de sa campagne avec sa désormais fameuse expression de « l’en même temps ». Présentée comme moderne et novatrice, la doctrine de l’en même-temps-isme n’est rien d’autre que la normalisation du mensonge et du double discours.
Durant la campagne présidentielle, c’est sans doute sur la question de la colonisation que ce double langage s’est le plus fait ressentir. (...)
Depuis son élection, Emmanuel Macron ou les membres de sa majorité (gouvernement et députés) n’ont eu de cesse de pratiquer ce double discours. Sur les migrants, sur les violences faites aux femmes ou encore sur les inégalités pour ne citer que quelques exemples, ce double discours a vite atteint ses limites. Nul n’est dupe des actions menées par ce gouvernement et, de facto, du fait que lesdites actions ne répondent en rien au discours présidentiel et gouvernemental. Néanmoins, loin d’être une fin en soi, ce double discours est selon moi une manière de chasser la réalité pour mieux imposer le Réel.
La réalité congédiée de l’Assemblée (...)
Le président de la République applique à merveille les préceptes du marquis de Lampedusa dans Le Guépard : « pour que tout reste comme avant il faut que tout change », souvent transformé en « il faut que tout change pour que rien ne change ».
Cette chasse acharnée de la réalité au sein de l’Assemblée nationale ne s’arrête bien évidemment pas aux simples députés de la majorité. (...)
Au-delà de la question de l’Assemblée nationale, c’est toute la ligne politique et idéologique de la majorité présidentielle qui a quelques problèmes avec la notion de réalité. Evidemment, personne parmi eux ne le dira aussi frontalement. En bons adeptes de Machiavel ils ont compris qu’il valait mieux user de ruse quand il s’agit de ce genre de combat. S’ils expulsent la réalité – sans le dire clairement – c’est au nom du Réel. Il faut ici comprendre qu’il s’agit du concept de Réel et non pas du réel comme on l’entend dans le sens courant. Convoquer le Réel de manière grave et péremptoire est la marque de fabrique de ce capitalisme néolibéral qui affirme être rationnel alors même qu’il est l’un des systèmes les plus fous qui soit. Le Réel c’est lorsque la députée Aurore Bergé signe un rapport affirmant que les professeurs sont éloignés de toutes les réalités sociales du pays.
Cette espèce de novlangue n’a pas d’autre but que d’imposer ses idées et de les faire passer pour rationnelles, irréfutables, en bref de tuer la politique et la démocratie qui sont, par essence, conflictuelles. (...)
Parler du Réel revient à éviter de dire que la politique menée est une politique inégalitaire au possible, faite au service des plus riches de notre société et qui heurtera de plein fouet les plus dominés. En face de cette volonté forcenée de parler du Réel pour mieux expulser la réalité, il est, je crois, de notre devoir d’agir comme Orwell le journaliste et montrer, patiemment et avec détermination, la froide réalité, l’odieuse réalité, l’affreuse réalité du monde qu’ils veulent.
Le mythe du Réel est à déconstruire urgemment.
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