
Un retenu en grève de la faim est décédé mercredi au centre fermé de Merksplas, l’équivalent belge d’un centre de rétention. L’homme, un Géorgien, était dubliné en France, où il avait des liens familiaux. De l’avis de certaines personnes enfermées dans ce lieu et d’associatifs, ce drame est révélateur d’un quotidien difficile et d’un manque d’accès aux soins.
Il se trouvait "à l’isolement médical. En grève de la faim depuis plusieurs jours, il avait été placé en chambre individuelle et un médecin venait le voir tous les jours", expose Jérémy*, membre du collectif Getting the Voice Out, qui est en lien avec les retenus de différents centres fermés en Belgique. Grâce aux témoignages des co-retenus, le collectif tente d’enquêter sur ce qu’il s’est passé et d’en savoir plus sur le profil de l’homme.
Le parquet a ouvert une enquête dans la foulée du décès. Il a conclu, ce vendredi 17 février, à "un décès de mort naturelle", affirme Dominique Ernould, porte-parole de l’Office des étrangers, jointe par InfoMigrants. "Le parquet a décidé que le corps pouvait être rendu à la famille."
"La personne décédée a été vue une demi-heure avant son décès par un membre du staff médical. Rien ne permettait de penser que son état de santé se dégradait, ni d’établir, encore maintenant, un lien de cause à effet entre la grève de la faim et son décès. Les paramètres étaient tous normaux", soutient encore Dominique Ernould. (...)
De son côté, Jérémy a reçu un témoignage d’un co-retenu selon lequel le "médecin refusait de lui fournir une assistance médicale tant qu’il ne se remettait pas à manger". Pour l’heure, difficile de croiser les informations émanant du centre. "On essaie de mobiliser d’autres leviers, d’avoir accès au dossier médical."
Dubliné en France
D’après les informations du collectif Getting the Voice Out, l’homme était père de trois enfants séjournant en France, où vit également sa compagne. "Sa femme lui rendait visite au centre", souligne Jérémy. "Je suppose que son épouse avait un titre de séjour légal en France", confirme Dominique Ernould. (...)
"Sa demande de transfert devait être traitée par la France. Mais la France a refusé de le reprendre. D’où sa grève de la faim", affirme Dominique Ernould. (...)
Le collectif Getting the Voice Out recueille régulièrement des témoignages de retenus affirmant, à l’inverse, manquer de soins.
Joint par téléphone depuis le centre de Merksplas, Ali* déroule une liste d’exemples constatés autour de lui. (...)
Selon lui, l’assistance psychologique est insuffisante, et le dialogue avec l’équipe médicale, compliqué. "Ce ne sont pas des médecins, ce sont des vétérinaires. On dirait qu’ils nous parlent comme à des animaux, même si certains parlent plus calmement", dénonce-t-il. (...)
Protestations collectives
Lorsque la nouvelle du décès s’est répandue mercredi, un mouvement de protestation a été entamé par des co-retenus dans le centre.
"On n’est pas allé manger, collectivement. Au bloc 3, certains ont cassé des choses, pour montrer leur colère", raconte Ali. "Tout le monde était sous le choc. C’est extrêmement tendu en ce moment", confirme de son côté Jérémy.
"La police est intervenue pour calmer les esprits. Certains résidents ont été isolés à l’intérieur du centre, mais personne n’a été emmené par la police. Entre-temps, le calme est revenu”, a déclaré Paulien Blondeel, porte-parole du département de l’immigration, à la presse belge.
Ali précise, lui : "Les agents de police sont venus et la moitié du bloc 3 a été envoyée au cachot". Le cachot ? Un lieu d’isolement situé dans le bloc 5 du bâtiment. " C’est une cellule vide, avec un seul lit, deux couvertures, c’est tout, et on y reste 24 heures. C’est comme une punition."
D’autres grèves de la faim en cours
Depuis le décès du Géorgien, trois de ses compatriotes se sont mis en grève de la faim dans le centre de Merksplas, nous indique Ali. (...)
"Il y a des grèves de la faim car les gens ici n’ont pas espoir", s’attriste Ali. Lui vivait depuis plus de 20 ans en Belgique. Il a été arrêté il y a cinq mois, et n’a pas bougé de ce centre depuis. En Belgique, la durée de rétention en centre fermé est, en théorie, limitée à deux mois. Sauf que ce délai est prolongeable une fois sous certaines conditions. "Puis, à nouveau jusqu’à huit mois maximum sur décision du Ministre", explique le Ciré dans son rapport 2019 sur les centres fermés.
Des délais de rétention pouvant aller jusqu’à 18 mois (...)
"Les avocats des personnes retenues peuvent faire un recours auprès de La Chambre du Conseil, à intervalles réguliers. Mais c’est compliqué, il faut répondre à tout un tas de conditions pour espérer une sortie", observe Jérémy. (...)
Fin mars 2022, le gouvernement belge a annoncé la construction de trois nouveaux centres fermés et un centre de départ, ajoutant ainsi 500 places supplémentaires. Objectif affiché : multiplier les expulsions. Ces centres devraient sortir de terre entre 2024 et 2029.