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Le crépuscule des services publics
Article mis en ligne le 26 février 2019

La détérioration des services publics suit partout un même protocole : la Poste, la SNCF, la RATP, les hôpitaux justifient les réformes en cours de la même manière, avec les mêmes effets ravageurs. En pistant les étapes de ces procédures, cet essai s’interroge sur un autre aiguillage.

Les Gilets jaunes réclament à la fois un allègement fiscal et le maintien de leurs services publics. Emmanuel Macron dans ses questions aux Français n’a pas manqué de souligner le paradoxe : « Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? À l’inverse, voyez-vous des besoins nouveaux de services publics et comment les financer ? » Les services publics sont variés (transport SNCF, écoles, bureaux de poste, hôpitaux) et habituellement analysés de manière séparée par les chercheurs, mais il vaut la peine de les étudier comme un ensemble car la dégradation des services publics dont se plaignent les usagers suit un mécanisme relativement similaire d’un monde à l’autre.

Ce mécanisme peut être décomposé en plusieurs étapes dont la succession entraîne un sentiment d’inéluctabilité dans la détérioration des services publics, alors qu’une étape pourrait ne pas conduire automatiquement à une autre si une volonté politique en décidait. Leur point de départ consiste à exiger une rentabilité difficile à atteindre au regard des missions de service public dont ils sont en charge (1). L’étape suivante est celle d’un délaissement progressif de l’entretien des infrastructures (2) conduisant à une dégradation des services fournis (3). Ce délaissement produit alors une moindre rentabilité (4), motif invoqué pour à ouvrir à la concurrence, à défaut de privatiser, le service ou l’entreprise en question (5). Les dernières étapes de la détérioration des services publics consistent à détourner les derniers usagers (6) ou à dualiser ces services en proposant plusieurs gammes de prestations, allant de « l’entrée de gamme » (du « low cost ») au « haut de gamme ». Cette dualisation produit une segmentation des usagers – et donc une rupture de l’égalité entre eux – qui crée une perte de sens. Cette dernière accroît à nouveau l’exigence de rentabilité en la faisant passer d’un moyen visant à assurer une mission d’intérêt général à une fin en soi (7). (...)

Conclusion
Cet enchaînement d’étapes, qui n’est en rien inéluctable dans la réforme des services publics, produit des effets : l’exclusion progressive des voyageurs qui ne voyagent plus, des usagers qui ne se rendent plus à la poste faute de moyen de transport, des malades qui ne se soignent plus aussi rapidement car la prise en charge semble inaccessible géographiquement, financièrement ou socialement... Un autre effet réside dans le développement d’initiatives concurrentes sur les seuls segments rentables des services publics (...)

L’ouverture à la concurrence provoque alors ce qu’elle entend vouloir éviter en ne laissant à la charge des services publics que ce que les concurrents ne souhaitent pas prendre en charge, c’est-à-dire les services utiles socialement à la population mais déficitaires en soi. Or, considérer qu’un service public ne doit pas – ou ne peut pas – être déficitaire empêche d’analyser ce que permettent ces déficits en termes de prise en charge effectuée, de travail non mesurable quantitativement ou financièrement, de maillage territorial, de lien social préservé et de situations d’isolement évitées également.

Sans trancher sur la volonté politique – ou son absence – d’entretenir ces processus interdépendants, se rappelle à nous ce qui fait la singularité de nos services publics, à savoir leur intérêt général et leur utilité sociale. Peut-être est-il temps de sortir de ce cercle vicieux pour remettre les moyens en conformité avec les résultats attendus ? Cela pose la question du bien-fondé de la première étape du processus décrit : le service public doit-il nécessairement être rentable ? Avec des indicateurs de qualité qui comptabilisent et mesurent, et donc hiérarchisent certaines missions sur d’autres, les préoccupations de gestion des coûts n’ont-elles pas changé de statut en passant de moyens à prendre en compte pour assurer des missions de service public à une fin en soi ? En négligeant ce qui ne se mesure pas (lien social, présence et attractivité territoriale, qualité des services rendus…), le service public ne se vide-t-il pas de son sens premier et essentiel ?