
Mamat* attend. Plus de trois ans qu’il n’a pas reçu un coup de fil, une lettre, ni même un message WeChat de sa famille. En 2003, il a fui la Chine pour l’Australie afin d’échapper au racisme anti-musulman perpétré par le régime chinois. Sa famille est restée au Xinjiang, ou Turkestan oriental, la région du nord-ouest de la Chine où la communauté ouïgoure, à majorité musulmane, tente de survivre malgré la répression du régime.
Depuis qu’il vit en Australie et milite pour un Turkestan oriental indépendant, Mamat reçoit des appels étranges :« Vous avez reçu un document important à votre nom », puis « vous devez le récupérer à l’ambassade pour régulariser votre situation », lui ordonne une voix robotique en chinois. Il ne prononce jamais un mot et raccroche.
Ces dernières semaines, Mamat est inquiet. Enfin, plus que d’habitude. « Mes proches pourraient être tous morts, je n’en saurais absolument rien. On commence à paniquer. » Comme d’autres membres de la minorité ouïgoure exilée, Mamat tire la sonnette d’alarme sur le risque de propagation du coronavirus dans les camps de « rééducation politique » à l’intérieur du pays, où au moins un million de personnes seraient détenues par les autorités.
« Ce n’est qu’une question de temps »
Si le Xinjiang est loin de l’épicentre de l’épidémie, la possibilité que le Covid-19 atteigne les camps d’endoctrinement est dans tous les esprits au sein de la communauté. « Je pense que ce n’est qu’une question de temps », lâche Munawwar Abdulla, chercheuse en neurosciences évolutives à Harvard et cofondatrice du Tarim Network, une plateforme communautaire pour connecter les jeunes ouïghour·es à travers le monde et construire une diaspora plus forte.
D’après les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, 65 cas ont été confirmés dans la région du Xinjiang, dont un décès le 12 février 2020. (...)
« Nous n’avons pas besoin d’être des virologues pour savoir que Covid-19 se propagerait très rapidement dans ce type d’environnement »
Munawwar Abdulla, cofondatrice du Tarim Network
Le service ouïghour de Radio Free Asia –une société de radiodiffusion internationale à but non lucratif financée par le gouvernement américain– a récemment rapporté qu’un étudiant ouïghour, Miradil Nurahmat, avait été mis en quarantaine à Atush dans le district 6, site d’un camp d’endoctrination. Plus tôt, RFA a rapporté que les autorités avaient mis en quarantaine près de 100 résident·es de Wuhan à l’hôtel Yashin à Atush, et probablement dans d’autres hôtels locaux. Selon les rapports de RFA, pas moins de 13.000 habitant·es de Wuhan se sont rendu·es dans la région ouïghoure avant l’arrêt complet des transports. Un responsable local a également déclaré à RFA que la propagation du coronavirus dans la région ouïghoure était un « secret d’État ».
D’ancien·nes détenu·es ouïghour·es ont signalé que les camps étaient surpeuplés et insalubres. Si le virus s’y installe, il pourrait se propager vélocement d’une personne à l’autre. (...)
Exhorter les organisations de santé mondiales
Des campagnes sur les réseaux sociaux ont été lancées, sous des hashtags tels que #VirusThreatInThecamps et #WHO2Urumqi, pour exhorter l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à envoyer une délégation au Xinjiang.
« QUI devrait envoyer une délégation dans la région »
Une pétition publiée sur change.org et déjà signée par plus de 10.652 personnes appelle à la fermeture des camps afin de réduire la menace posée par la propagation du virus et demande une action rapide de la part des organisations de santé mondiales. (...)
Mamat s’inquiète aussi du manque de vivres. « Les Ouïghours [qui ne sont pas internés dans les camps de rééducation politique, ndlr] ne sont pas autorisés à sortir de chez eux. La plupart n’ont ni réfrigérateur, ni approvisionnements supplémentaires. On a entendu dire que le gouvernement continuera de les garder séquestrés jusqu’au 5 mars. Par conséquent, la faim et la famine pourraient avoir un impact encore pire que le virus en lui-même. Des centaines de Ouïghours pourraient mourir sans même qu’on s’en aperçoive car ils n’ont aucun moyens de communication. »
« Ce n’est qu’une question de temps avant que ces personnes manquent de nourriture et soit affamé jusqu’à en mourir. » (...)
Les personnes internées se réveillent avant l’aube, chantent l’hymne chinois et célèbrent le lever du drapeau chinois à 7h30 chaque matin. Elles ont ensuite cours en blocs de deux heures et demie minimum, apprenant des chants communistes et étudiant l’histoire et la langue chinoises. Le midi, elles mangent de la soupe de légumes et du pain. Les douches sont rares et surveillées : se laver les mains ou les pieds est considéré comme une ablution musulmane, et donc très contrôlé. Des fonctionnaires leur font des discours sur les dangers de l’intégrisme religieux et de l’indépendantisme, puis leur font passer des tests sur les dangers de l’islam : en cas de réponse fausse, elles reçoivent un châtiment corporel.
« Je ne pense pas que les autorités chinoises fassent de leur mieux pour empêcher la propagation du coronavirus dans les camps, lâche Munawwar Abdulla. Compte tenu de la pénurie de personnel médical et de fournitures à Wuhan et dans d’autres régions de Chine, le gouvernement chinois n’a probablement pas les ressources nécessaires pour contenir la propagation du virus dans la région ouïghoure tout en continuant à exploiter les centaines de camps de détention. Nous ne pouvons rien dire avec certitude, c’est pourquoi nous réclamons une aide internationale. (...)
Patrick Poon, chercheur d’Amnesty International, s’inquiète : « Bien que nous ne puissions faire aucune recherche indépendante sur la question pour des raisons évidentes, il est légitime de craindre que l’épidémie de coronavirus frappe la région du Xinjiang, en particulier les camps. D’après les témoignages de nombreux Ouïghours, y compris les ex-détenus et les communautés diasporiques avec lesquelles nous avons parlé, les camps sont surpeuplés et le traitement des personnes détenues dans les camps est terrible. En raison du manque d’accès à la région et de la grave censure officielle en Chine, il est inquiétant d’imaginer comment l’épidémie frappe les personnes détenues dans les camps d’internement. »