Avant un chantier, des naturalistes doivent analyser la flore et la faune d’un site. Mais ils subissent des pressions, voire participent malgré eux à la destruction du vivant. Une perte de sens qu’ils confient à Reporterre.
On leur demande de minimiser les conséquences environnementales d’un projet immobilier. D’omettre — « dans le doute » — une espèce protégée d’un inventaire. De sélectionner les mesures compensatoires les plus faibles. Au sein des bureaux d’études environnementaux, les experts naturalistes subissent des pressions parfois subtiles, parfois directes. Leur métier : fournir l’étude d’impact nécessaire à bien des projets fonciers. Pour cela, ils répertorient la faune et la flore du site du futur chantier et analysent à quel point ce dernier menace la survie de ces espèces. Or, si leur travail déplaît au maître d’ouvrage [1], il peut être tenté de faire pression sur le bureau d’études (...)
Si les bureaux sont censés rendre une expertise indépendante, ils doivent néanmoins satisfaire une commande. (...)
Chargée d’études faune dans les Hauts-de-France, Aria [*] a « entendu [s]on responsable inviter un collègue à, “dans le doute”, ne pas faire apparaître une espèce protégée dans un rapport et ne pas retourner vérifier sa présence sur le terrain. » (...)
Patrice Valantin, président de l’Union professionnelle du génie écologique (UPGE), lui-même à la tête d’un bureau d’études, le reconnaît sans fard : « Le marché est bancal car le maître d’ouvrage mandate des prestataires — les bureaux d’études — qui lui sont donc subordonnés. Il y a un biais dans le principe, qui touche autant les clients du secteur privé que les acteurs publics. » Ces pratiques varient cependant selon les bureaux d’études. (...)
Les services de l’État doivent « croire sur parole » les bureaux d’études (...)
Les fonctionnaires ne sont pas dupes. Sofia remarque les « coquilles grossières » laissées par des écologues opposés aux projets et capables de bloquer des dossiers. « Si tout rentre dans les cases imposées par la législation, on ne peut pas dire non. C’est frustrant pour nous aussi, souligne-t-elle. Le bureau d’études espère que l’État dira non. Nous, on espère que les associations environnementales vont se lever sur l’enquête publique. »Les fonctionnaires ne sont pas dupes. Sofia remarque les « coquilles grossières » laissées par des écologues opposés aux projets et capables de bloquer des dossiers. « Si tout rentre dans les cases imposées par la législation, on ne peut pas dire non. C’est frustrant pour nous aussi, souligne-t-elle. Le bureau d’études espère que l’État dira non. Nous, on espère que les associations environnementales vont se lever sur l’enquête publique. » (...)
Pour les dossiers sensibles, les décisions sont prises directement par le préfet. « Notre hiérarchie nous demande alors d’arrêter de chipoter parce qu’il y a des enjeux supérieurs », déplore Sofia. (...)
Les naturalistes doutent également des capacités de l’État à suivre sur le long terme les promesses des entreprises. (...)
« On se retrouve dans une situation de dissonance cognitive » (...)
Pour les naturalistes, l’origine du mal-être provient également d’un cadre réglementaire inadapté. (...)
À ces dilemmes moraux s’additionne un rythme de travail « dense » relèvent plusieurs personnes interrogées par Reporterre. (...)
Un constat amer, qui ne doit pas occulter que ce secteur et sa législation sont en plein développement. (...)
« on a beaucoup progressé depuis 2008, mais on a tout juste fait 10 % du travail. Le système n’est pas satisfaisant. Il faut améliorer ces outils pour répondre au mal-être qui existe chez les jeunes écologues. » (...)