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Le barnum commémoriel d’Emmanuel Macron
Le Cour Grandmaison, universitaire
Article mis en ligne le 23 mars 2021
dernière modification le 22 mars 2021

Le 5 mai 2021, E. Macron célèbrera le bicentenaire de la mort de Napoléon avant d’aller se recueillir quelques jours plus tard devant le monument érigé dans les jardins du Luxembourg en l’honneur des esclaves qui ont lutté puis arraché leur libération. Que l’indignité de ce « en même temps » commémoriel échappe à ses concepteurs en dit long sur les rapports qu’ils entretiennent avec ce passé. Il est des honneurs accordés à certains personnages qui déshonorent celles et ceux qui les rendent.

« Une des choses qui a le plus contribué à rendre de son vivant Napoléon haïssable, était son penchant à tout ravaler (…). Il se complaisait dans l’humiliation de ce qu’il avait abattu ; il calomniait et blessait particulièrement ce qui avait osé lui résister. Son arrogance égalait son bonheur ; il croyait paraître d’autant plus grand qu’il abaissait les autres. » Châteaubriand (1846)

« Quand un homme d’Etat (…) ne comprend pas que la première condition du progrès, c’est la paix ; s’il formule une doctrine de guerre, c’est peut-être un grand homme dans le sens vulgaire du mot, ce n’est pas un démocrate. » Clemenceau (1885)

Le 20 janvier dernier, Benjamin Stora remettait au président de la République un rapport dans lequel il se déclarait favorable à de nombreuses commémorations relatives à la colonisation de l’Algérie et au conflit que la métropole y a mené entre 1954 et 1962. Pour Emmanuel Macron, la multiplication de ces gestes prévus est une aubaine. Elle doit lui permettre de faire coup double ou triple : rendre hommage à plusieurs personnalités emblématiques afin de satisfaire diverses fractions de l’électorat, occuper régulièrement l’agenda politique et médiatique, susciter ainsi les louanges de ses courtisans qui s’empresseront de saluer son courage et sa fidélité aux promesses faites, et tenter enfin d’occulter l’essentiel : son refus persistant de toute reconnaissance officielle des nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés par les autorités françaises depuis la prise d’Alger en 1830.

Le 10 mars 2021, le très docile porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, déclarait en usant des éléments de langage élaborés pour l’occasion : « évidemment » le chef de l’Etat commémorera le bicentenaire de la mort de Napoléon car l’empereur est une « figure majeure de notre histoire » même si certains de ses « choix apparaissent aujourd’hui contestables (sic). » (...)

. Les « crimes » de Napoléon - l’instauration de la dictature, de l’empire et le rétablissement de l’esclavage, depuis longtemps qualifié de violation majeure du « droit naturel », laquelle exige, en raison de sa gravité, réparation[1]- ne sont ni nommés ni véritablement condamnés, ceci est une conséquence de cela, mais simplement jugés « contestables » ! A l’obscénité de la cérémonie prévue par l’Elysée s’ajoute l’ignominie du vocabulaire employé pour la défendre.

Relativement aux orientations commémorielles d’Emmanuel Macron, pareille déclaration confirme ceci : elles ne sont dictées ni par un souci de vérité, ni par un désir « d’apaisement » et « d’unité nationale », contrairement aux formules ronflantes mobilisées en ces circonstances, pas même par un souci de cohérence qui pourrait avoir quelques vertus pédagogiques mais par la volonté de satisfaire, pour des raisons électorales, les bruyants mythe-idéologues qui préfèrent les images d’Epinal du grand roman national à l’histoire. (...)

Aux ignorants, aux oublieux comme aux démagogues de la majorité présidentielle qui, à l’instar de leur prétendu « Jupiter-maître-des-horloges », souffrent d’un strabisme politique particulièrement divergent vers les droites les plus réactionnaires, rappelons quelques dates et événements emblématiques. Dix ans après la Révolution française, c’est par un coup d’Etat resté dans les annales, celui du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), que Bonaparte met fin au Directoire et assoit sa « dictature, née de la guerre. » Cette « guerre » qu’il n’a « pas maîtrisée plus de quelques mois[2] », écrit François Furet, et qu’il a portée à travers l’Europe en mettant de nombreux pays à feu et à sang. Admirable et digne d’un hommage national ?

Ennemi de la République, qu’il ruine en renforçant toujours plus ses pouvoirs avec l’instauration d’un consulat à vie, la Constitution du 4 août 1802 puis celle du 18 mai 1804 qui lui permet de se proclamer empereur, Napoléon l’est aussi des peuples du Vieux Continent comme du Nouveau monde. Aux colonies, il poursuit son œuvre de liquidation des conquis révolutionnaires en rétablissant, le 30 floréal an X (20 mai 1802), « conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789 », l’esclavage et le terrible Code noir (1685). De même, « la traite des noirs et leur importation » dans les dites colonies (art. 1erdu décret). Ajoutons qu’en son article 44, ce même Code qualifie juridiquement les esclaves de « biens meubles » susceptibles d’être partagés « également entre les cohéritiers sans préciput ni droit d’aînesse… » Délicate attention, n’est-ce pas ?

Pour les amateurs d’exception hexagonale, en voilà une remarquable mais sinistre : la France, qu’ils adorent d’un amour aussi aveugle qu’immature, est le seul pays à s’être engagé dans cette voie. Après l’abolition, tardivement accordée le 4 février 1794 suite à l’insurrection des esclaves de Saint-Domingue, le retour de la servitude dans les possessions françaises par la « grâce » de Napoléon. (...)

A ceux qui s’ébahissent des beautés immarcescibles du très glorieux Code civil (21 mars 1804), que l’humanité « civilisée », comme on disait alors, est réputée « nous » envier, rappelons que la femme mariée s’y trouve placée sous l’entière dépendance de son époux auquel elle doit obéissance (art. 213). Conséquences de cette minorité juridique, qu’elle partage, entre autres, avec les « criminels et les débiles mentaux » (art. 1124), elle est privée de toute autorité parentale sur ses enfants, de la gestion de ses biens, de la possibilité d’ester en justice sauf autorisation de son mari qui peut, en cas d’adultère, faire enfermer la fautive dans une maison de correction pour une durée comprise entre 3 mois et 2 ans. Connu pour ses « bons mots » prétendus, Napoléon résume ainsi l’esprit de ce Code à nul autre pareil : « la femme et ses entrailles sont la propriété de l’homme ». Lumineuse et délicate conception ; les articles précités en témoignent.

Quant aux conditions requises pour obtenir le divorce, rendues libérales par la Révolution française, elles sont considérablement durcies avant que ce dernier ne soit finalement interdit le 8 mai 1816 sur proposition du très monarchiste et catholique Louis de Bonald qui vomit ce qu’il qualifie de « poison révolutionnaire ». Triomphe de la réaction, une fois encore. Au racisme d’Etat s’ajoute donc un sexisme d’Etat aux conséquences longtemps catastrophiques pour celles qui sont juridiquement assujetties. (...)

Ajoutons que le père peut également, si son « enfant est âgé de moins de 16 ans commencés », le faire « détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois. » (Art. 376). Admirable et digne d’un hommage national ? (...)