
Entre le confinement, la limite à dix puis trente personnes dans la salle des mariages, marié·es compris, qui a suivi, les masques obligatoires pour les invité·es, les distances à respecter, nombreux sont les couples qui ont souhaité ajourner leur union. En France, 97% des cérémonies prévues entre mars et août 2020 ont été différées, au second semestre pour 49% d’entre elles et à 2021 pour les 51% restantes, d’après un sondage Mariages.net. « Tout était prêt ou presque. On s’était beaucoup projetés. Ça casse un peu la magie, déplore le futur marié. J’ai même reproché à mon mec de ne pas m’avoir demandé en mariage avant ! Comme ça, on se serait mariés l’année dernière. »
L’alternative, ce serait alors de se marier en plus petit comité. « Mais j’ai du mal à lâcher l’affaire, j’ai un peu de réticence à me marier dans ce cadre-là, plus cosy, avec nos témoins et basta », admet Axel.
D’autres, préférant ne pas temporiser indéfiniment, ont fait ce choix contraint. Et peuvent s’en trouver, à leur grand étonnement, très satisfait·es. C’est ce que relate (en anglais) à The Lily, un site par et pour les femmes du Washington Post, Kristen, Américaine de 32 ans. Au lieu d’une noce au milieu des Flint Hills, splendides collines du Kansas, et d’une cinquantaine d’invité·es, elle a épousé en juin Nicole, 35 ans, dans l’arrière-cour d’une amie, en compagnie du mari de cette dernière ainsi que, via Zoom, d’une autre amie. C’est tout. « C’était, en gros, un plan D. Mais ça n’aurait pas pu être plus parfait. » Idem pour Shaida, 28 ans, qui a convolé avec Micah, 32 ans, en présence de huit proches plutôt que de 180. « C’était vraiment magnifique. C’était un rêve. J’ai tellement de souvenirs de notre cérémonie intimiste. »
Quelle que soit la volonté des (futur·es) marié·es, renvoi aux calendes grecques ou assemblée restreinte, il est bien possible que la situation sanitaire, en mettant un coup d’arrêt aux grosses fêtes, transforme non seulement les célébrations de 2020 mais aussi, de manière plus pérenne, l’image que l’on s’en fait. « Je pense qu’on est arrivé à la fin de ce cycle d’expansion des fêtes de mariage », analyse la sociologue Florence Maillochon, autrice de l’ouvrage La passion du mariage. (...)
le Covid accuse, dans tous les sens du terme, les canons du mariage contemporain. Mettre l’organisation des réjouissances sur pause voire à l’arrêt total « permet de prendre du recul et de voir toutes les ficelles de ce “jeu de marionnettes”, tous les mécanismes à l’œuvre dont on est victimes consentantes et auxquels on obéit sans forcément s’en rendre compte d’habitude », pointe la chercheuse. (...)
homos ou hétéros, « les couples sont soumis à l’injonction de faire de leur mariage “le plus beau jour de leur vie” au sens propre, c’est-à-dire […] une fête placée sous le sceau de la perfection » (...)
Or, pour que les projections mirifiques deviennent réalité, cela demande « tout un travail d’organisation, de planification », insiste la sociologue. (...)
Ampleur de l’engrenage
En interrompant de manière brutale le jeu du mariage, le Covid annonce la (véritable) couleur des festivités. « Le marché du mariage accule et tient en otages les mariés, crée des besoins qu’ils et elles n’avaient pas forcément », appuie la sociologue spécialiste du mariage. Lors des entretiens qu’elle avait menés pour son ouvrage au début des années 2010, elle avait été « frappée » par le décalage entre ce que le couple avait en tête et ce qu’il finissait par mettre en œuvre pour célébrer son officialisation. (...)
« tous les couples décrivent, dans la préparation du mariage, un processus où ils sont happés, pris dans un flot, une forme d’engrenage, de poussée en avant où ils ne sont plus complètement maîtres de leur destin ; tout le système économique est fait pour que vous ne puissiez pas réfléchir ni faire marche arrière, il y a une pression à réserver ». Résultat : la fête se déroule dans un espace fermé (une salle louée pour l’occasion, un restaurant ou une propriété familiale) et avec plus d’hôtes qu’initialement prévu. Ce qui se fait, c’est de se marier en grand.
Petite mise en scène esthétique
La situation sanitaire, en mettant un terme à cette « frénésie », aide à « mettre en regard le but recherché et les trésors d’énergie développés pour arriver à ce but ». Et c’est ainsi qu’elle rebat les cartes sur le plus long terme et pas seulement pour les mariages directement impactés. (...)
« Le Covid ne fait qu’accélérer quelque chose qui devait sans doute se produire dans la dizaine d’années qui vient », à savoir essouffler les « noces emphatiques », en mettant de nombreux couples en situation de réaliser qu’un petit mariage, répondant aux codes du romantisme, est possible ou de percevoir avec encore plus d’acuité le poids imposant de l’organisation en amont de ce rituel devenu somptuaire. (...)