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lundi matin/Fabrice Riceputi, historien
Le 17 octobre 1961 : 60 ans après, un crime d’Etat toujours inavouable
#guerredalgerie #crimedetat #papon
Article mis en ligne le 3 octobre 2022

2021 : L’Elysée l’avait annoncé, un « acte symbolique » serait fait à l’occasion du 60e anniversaire du 17 octobre 1961. Il se produisit le 16 octobre : le président Macron se rendit en compagnie d’un petit groupe d’officiels et d’invités au Pont de Bezons, près de Nanterre, et y accomplit une courte cérémonie durant laquelle il déposa une gerbe et observa, seul face à la Seine, une minute de silence.

Comme souvent les actes de politique mémorielle officielle, celui-ci nous en dit au moins autant sur son auteur que sur l’événement commémoré. Le choix de ne pas faire ce geste le 17 octobre et de le faire dans un lieu désert, plutôt qu’au Pont Saint-Michel, en plein Paris, consacré comme lieu de la mémoire militante depuis des décennies, signalait une volonté de désamorcer une affaire politiquement sensible. Un autre choix, significatif d’une difficulté d’énonciation, était fait. D’ordinaire peu avare de discours, Macron n’en fit aucun ce jour-là.

Les téléspectateurs assistèrent donc à une cérémonie entièrement muette, dont la signification exacte fut laissée à l’appréciation des commentateurs. Les plus avisés rappelèrent que, selon les historiens, la police avait perpétré à Paris un massacre au faciès de manifestants algériens pacifiques. Et que, longtemps occulté par la République, il est l’objet dans la société française, depuis 30 ans au moins, d’une revendication jamais satisfaite à ce jour : sa reconnaissance officielle comme l’un des pires crimes d’Etat perpétré dans l’histoire de la République française. (...)

En 2012, François Hollande, sous la pression des militants de la mémoire, n’avait produit qu’un communiqué très évasif (...)

Un seul coupable est désigné : Maurice Papon, ce fusible idéal, dont la fonction de préfet de police de la Seine n’est même pas dite. C’est pourtant le gouvernement de la République qui est allé chercher Papon en mars 1958 à Constantine où il excellait dans la « pacification » -rafles, tortures, exécutions sommaires – afin qu’il écrase en région parisienne le nationalisme algérien dans une immigration dont le rôle, notamment financier, dans la guerre d’Indépendance en Algérie était crucial. Deux noms parmi ceux des responsables politiques sont manifestement toujours indicibles : au premier chef celui de Michel Debré, dont on sait l’hostilité farouche et agissante au processus de négociation en cours avec le FLN. C’est lui qui assigna à Papon la mission de gagner une « croisade » contre la Fédération de France du FLN, lui donnant carte blanche pour importer les méthodes de la terreur coloniale à Paris. Celui du président De Gaulle aussi, qui, à tout le moins, laissa faire Debré et Papon –il félicita ce dernier à maintes reprises et le maintint en poste jusqu’en 1967 – évitant ainsi que sa majorité n’explose sur la question de l’indépendance de l’Algérie.

Les crimes de Papon ne sont pas « inexcusables pour la République », comme le dit ce communiqué. Inexcusables sans aucun doute, ils sont bel et bien ceux de la République elle-même, dont toutes les institutions furent impliquées dans la perpétration du crime puis dans sa dissimulation. L’une d’entre elles le fut plus particulièrement : la police, dont le rôle est gommé mais en même temps, en filigrane, justifié. (...)

en 2021, la République d’Emmanuel Macron n’est pas prête à reconnaître la légitimité morale et politique d’une manifestation contre un couvre-feu illégal et raciste et pour l’indépendance algérienne, dont le principe était pourtant acquis en octobre 1961.

Depuis les années 1990, chaque fois qu’est rappelée cette autre page sombre, après celle de Vichy, de leur histoire, les syndicats de police crient, avec la droite et l’extrême droite, à l’insupportable atteinte à l’honneur de l’institution policière. Leur voix, une fois de plus, a été entendue pour ce 60e anniversaire. (...)

En septembre 2018, le même président avait reconnu la responsabilité de la République dans l’enlèvement et l’assassinat par l’armée de Maurice Audin. De surcroit, dans une déclaration historiquement impeccable, il reconnaissait l’instauration d’un « système de terreur » dans lequel l’armée enleva, tortura et assassina des milliers d’Algériens en 1957. Il faut le souligner, cette déclaration avait été validée par l’Etat Major de l’armée française, signalant ainsi une évolution notable et remarquée des mentalités dans cette institution, même si elle suscita l’ire d’une fraction de cette dernière.

Un tel aggiornamento est visiblement toujours impossible sur le 17octobre 1961. Il invaliderait le dogme actuellement en vigueur au sommet de l’Etat selon lequel la République et sa police seraient, par essence et de toute éternité, irréprochables. Le déni qui persiste sur cet évènement vieux de 60 ans, cette aphasie, est le miroir et la conséquence des dénis actuels, notamment sur l’existence d’un racisme systémique en France et des pratiques policières racialisées. (...)