
2/2 Comme chaque année depuis 2017 commémoration le 13 juillet à partir de 19h place de la Nation.
A 15h45 diffusion de "Les Balles du 14 juillet 1953" de Daniel Kupferstein au MK2 Nation, suivie d'un débat avec Gilles Manceron, Benjamin Stora, Sadek Hadjeres et le réalisateur.— Isabelle Saint-Saens (@isskein) July 10, 2021
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Mémoire. Les balles du 14 juillet 1953
Le souvenir de cette journée sanglante, où sept militants algériens et français furent abattus par la police en plein Paris, refait surface depuis peu.
« Paris n’oubliera jamais la manifestation du 14 juillet 1953. » Ce 15 juillet de la même année, l’Humanité consacre sa une au véritable crime d’État qui s’est déroulé la veille, place de la Nation, où six indépendantistes algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et un communiste et syndicaliste de la CGT ont été froidement abattus par la police française.
Mais Paris a oublié. Même les consciences militantes, pourtant plus vigilantes, ont effacé de leur mémoire ces balles du 14 juillet. Ce fut le cas dans nos propres colonnes, qui ont ignoré depuis plus de soixante ans cet épisode sanglant, qui coûta la vie à Abdelkader Draris, Mouhoub Illoul, Maurice Lurot, Amar Tadjadit, Larbi Daoui, Tahar Madgène et Abdallah Bacha. (...)
– 14 juillet 1953 à Paris : un massacre « porté disparu »
Le 14 juillet 1953, une manifestation anticoloniale est réprimée dans le sang à Paris : sept morts, tués par balles, par la police. Un massacre oublié.
La manifestation avait lieu à l’appel du PCF et de la CGT, suivant une tradition de contre-manifestation le 14 juillet, visant à ne pas laisser la rue pour l’anniversaire de la prise de la Bastille aux seuls cortèges militaires. Les AlgérienEs forment, comme les années précédentes, un cortège autonome, encadré par le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, dont le leader Messali Hadj est alors en prison. Les mots d’ordre sont clairs : « À bas le colonialisme », « Nous voulons l’indépendance ». Un grand portrait de Messali Hadj ouvre le cortège.
« Ils ont tiré à balles réelles ! »
En 1953, le contexte est tendu. Les manifestations du 1er mai 1953 ont déjà été l’occasion de violences policières. Un an plus tôt, le 28 mai 1952, le communiste algérien Hocine Bélaïd avait été tué lors de la manif contre la venue en France du général étatsunien Ridgway, accusé d’utiliser des armes bactériologiques en Corée. En Tunisie, au Maroc, en Algérie, les mouvements décoloniaux étaient sévèrement réprimés, et les forces de l’ordre n’hésitaient pas à ouvrir le feu…
La manifestation est donc surveillée : les pancartes ou drapeaux et banderoles « injurieuses » ont été interdites par la préfecture de police de Paris, ainsi que les chants et cris « séditieux » (ce qui est vague…). Le cortège emprunte un parcours traditionnel (République-Bastille-Nation) Déjà les choses se tendent rue du Faubourg-Saint-Antoine : des parachutistes d’Indochine en permission attaquent les manifestants.
Le drame se déroule à la fin de la manifestation, place de la Nation, alors que les manifestantEs se dispersent. La police exige le retrait du portrait de Messali. Devant le refus des Algériens, une charge violente des forces de l’ordre commence. Soudain, un cri : « Ils ont tiré à balles réelles ! » Les AlgérienEs ripostent. Jusqu’à 17h30, sous une pluie battante qui contribue à augmenter la confusion, la place de la Nation, abandonnée par les organisateurs du défilé, se transforme en champ de bataille. À 17h30, le calme était revenu et à 18 heures, la place de la Nation était dégagée mais elle était jonchée de débris et de corps de manifestantEs tuéEs ou blesséEs par des tirs qui furent particulièrement nombreux et nourris.
Enterrés au Père-Lachaise (...)
Comme on pouvait s’y attendre, le gouvernement, comme une partie de la presse, affirme que ce sont les manifestantEs qui ont cherché l’affrontement. C’est la thèse, classique, de la légitime défense… Le bilan humain laisse pourtant peu de doute quant à l’usage différencié de la force par les deux groupes en présence.
Le 21 juillet, la CGT, le PCF, le Mrap et diverses personnalités organisent une soirée de protestation et appellent à des arrêts de travail le jour des obsèques. Les corps des sept victimes sont exposés à la Maison des Métallos pour un dernier hommage. Les victimes sont enterrées près du mur des fédérés au Père-Lachaise.
Omerta d’État
À la tête de l’État, l’omerta s’organise. Le gouvernement dépose dès le 15 juillet une plainte contre X pour « rébellion et violence envers une personne dépositaire de la force publique » : dans ce cadre, aucune enquête n’est prévue sur les tirs policiers. Le gouvernement, la préfecture et une bonne partie de la presse mentent en disant que les AlgérienNEs avaient aussi des armes à feu, faisant état de preuves qui n’existent pas. Il semble que les policiers aient échappé à l’autorité de leurs chefs. Ils ont tiré sans que l’ordre leur en ait été donné, mais ils savaient pertinemment que la hiérarchie n’aurait pas d’autre solution que de les couvrir.
Des familles de victimes se constituent pourtant en partie civile ; un juge d’instruction (qui hasard de l’histoire se nommait Jaurès) est saisi. Mais La procédure aboutit à un non-lieu le 22 octobre 1957… Malgré quelques commémorations les années suivantes, le 14 juillet 1953 sera enfoui, en France et en Algérie, et même la mémoire militante sera bientôt effacée, occulté par les massacres suivant du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 (Charonne). (...)