
Vous avez refusé de signer la tribune « Des femmes libèrent une autre parole », parue dans Le Monde du 10 janvier 2018, et soutenue par Catherine Deneuve ou Catherine Millet. Pourquoi ?
Ce texte, qui part dans plein de directions, ne me paraissait pas cohérent par rapport à l’histoire des femmes. Il me semblait mal tomber, alors qu’une libération de la parole se produit depuis seulement trois mois. Elle est encore fragile, et j’avais l’impression que ce n’était pas du tout le moment d’entraver, voire de soupçonner le courage dont font preuve certaines femmes pour dire ce qui leur est arrivé, alors qu’elles font silence depuis des décennies. Et dernière raison : il y a des choses dans ce texte qui me gênent terriblement.
Par exemple ?
Quand les rédactrices écrivent : « en tant que femmes, nous ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme qui, au-delà de la dénonciation des abus de pouvoir, prend le visage d’une haine des hommes et de la sexualité »… Comment peut-on dire ça ? Je suis désolée, mais nous sommes très nombreuses, quelles que soient nos générations, à être féministes tout en considérant les hommes et en les aimant ! Le féminisme ne s’est pas construit dans la haine de l’homme, mais dans la défense de la femme. C’est être antiféministe que de dire de telles bêtises.
C’est donc un texte antiféministe à vos yeux ?
Non, mais il prétend des choses mensongères sur le féminisme. Et puis il divise au lieu de rassembler, et j’aimerais davantage de solidarité entre femmes. En plus, il fait peser des suspicions qui me semblent totalement illégitimes, voire contre-productives, par rapport à ce que nous sommes en train de vivre.
Dans le tout dernier paragraphe du texte, il y a deux ou trois phrases qui me paraissent totalement fausses : « Les accident qui peuvent toucher le corps d’une femme n’atteignent pas nécessairement sa dignité et ne doivent pas, si durs soient-ils parfois, nécessairement faire d’elle une victime perpétuelle. Car nous ne sommes pas réductibles à notre corps. Notre liberté intérieure est inviolable. » Mais quand on subit une agression corporelle, elle se traduit immédiatement et consubstantiellement en agression psychique !
Qu’est-ce que cela veut dire, de diviser la liberté d’un être humain ? Et qui sont ces femmes qui se croient tellement fortes qu’elles sortiraient indemnes psychiquement d’une agression physique, parce que leur liberté n’est pas entamée ? (...)