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La microhistoire au prisme de l’exception
Article mis en ligne le 25 juillet 2022
dernière modification le 24 juillet 2022

La microhistoire n’a pas de forme propre. Elle recouvre des études de factures très différentes : cartographie de parcours professionnels, analyse quantitative des formes de stratification et de leur évolution temporelle, ethnographie de pratiques sociales, monographie politique d’un quartier, explorations biographiques, analyse de réseaux, reconstitution des trajectoires et des choix d’un groupe social au cours d’une période dramatique, anatomie contextuelle des pièces d’un procès, monographie d’une famille, analyse formelle d’un événement 

Le contexte équivaut pour la microhistoire à un aveu d’impuissance : dès lors que le « contexte » devient la caution d’une transposition possible, l’unité d’analyse cesse d’être celle de l’acteur individuel pour devenir celle d’un ensemble flou et indistinct.

Pour une microhistoire se focalisant sur le petit nombre, la question de la transposition de ses énoncés se pose donc avec acuité. N’est-elle en définitive que la description d’une singularité ? À quelles conditions ses aperçus empiriques peuvent-ils prétendre à un degré de généralité éclairant d’autres terrains d’étude ? (...)

En privilégiant l’effet de loupe, la microhistoire du petit nombre reconstruit une complexité originelle faite d’un entrelacs de causalités multiples, elles-mêmes produites par des enchevêtrements singuliers. À mesure que le descriptif devient exhaustif, la singularité irréductible de ces effets d’enchevêtrement prend le pas sur toute autre considération. L’objet ainsi appréhendé échappe au cadre d’une classification. (...)

Nous relevons le défi de la généralité sans renoncer à la visée d’une unité d’analyse individuelle à partir du moment où nous nous efforçons de spécifier les systèmes d’action et la dynamique de leurs interactions. L’approche microhistorique apparaît comme l’approche la plus appropriée afin de mettre à nu ces réalités processuelles. Elle permet de les observer telles qu’elles se déploient dans le temps. C’est en magnifiant ces configurations que le cas sort de lui-même : il dévoile un ensemble de relations redevables d’une analyse « formelle » au sens où la spécification analytique de ces relations est suffisamment précise pour permettre l’identification de mécanismes générateurs (...)

En d’autres termes, une fois identifiés les processus à l’œuvre, il devient possible d’entrer dans le détail des facteurs qui en conditionnent la possibilité et la dynamique. Une approche processuelle doit également permettre l’identification de paramètres conditionnels. (...)

Les pages qui suivent élaborent cette réflexion par l’exemple en prenant comme objet d’étude la persécution antisémite en France à l’été 1942 avec comme point focal les arrestations opérées à Nancy le 19 juillet 1942. L’article, dans un premier temps, se limite à une présentation factuelle de l’arrière-plan géopolitique et du déroulement de ces arrestations. Dans un deuxième temps, il explicite dans quelle mesure ce constat factuel dessine les contours d’un cas qu’il est possible de décrire comme exceptionnel. Le troisième temps de l’article se focalise sur les acteurs à l’origine de cet événement hors-série. J’aborde dans un quatrième temps la question des effets de contrainte liés à la position de ces acteurs dans une organisation hiérarchique telle que la police, avant de mettre au jour, dans un cinquième temps, les enseignements de cette étude pour notre compréhension de la Shoah en France, la persécution d’État et les processus d’obéissance et de subversion. Le dernier temps de l’article reprend la question des défis que rencontre la microhistoire quand sa focale empirique est resserrée. (...)