
Si Israël et le Hamas ont accepté une pause dans le déchaînement de brutalité qui frappe le peuple palestinien, le cessez-le-feu ne mettra pas fin à la politique expansionniste israélienne. Un large collectif d’universitaires affirme sa solidarité envers la résistance palestinienne, dénonce la complicité de nos gouvernements avec les crimes d’occupation, et appelle à rejoindre « toutes les initiatives de solidarité internationale consistant à s’opposer à l’effacement systémique des Palestinien·nes ». « Que vive la Palestine libre ! »
Les événements auxquels nous assistons, dont certain·es prétendent qu’ils ont pour origine une attaque aérienne du Hamas, au-delà d’une politique guerrière et coloniale de plus d’un demi-siècle, sont la conséquence de provocations délibérées de la part des autorités et de l’extrême-droite israéliennes, qui remontent au début du mois de ramadan. La manifestation autorisée dans Jérusalem Est ayant pour mot d’ordre « mort aux Arabes ! » en est un exemple marquant, de même que les attaques de la mosquée Al-Aqsa qui s’ensuivirent, perpétrées par la police coloniale. Des groupes de colons, soutenus par les forces israéliennes, ont commis des lynchages de Palestinien·nes dans plusieurs villes colonisées, dites « mixtes ». La bande de Gaza, surpeuplée et sous siège, subit régulièrement des bombardements aériens continus qui déciment des familles entières, anéantissent infrastructures de santé, lieux de culture, usines de traitement des eaux, et écrasent la possibilité d’une vie digne comme toute tentative de résistance, sous prétexte de guerre contre le terrorisme. Les autorités israéliennes l’admettent elles-mêmes, ayant promis de n’arrêter les bombardements que lorsque Gaza serait « totalement silencieuse », plongeant la population gazaouïe dans la terreur. Nous assistons ainsi à une politique de nettoyage ethnique, dans la continuité des colonies de peuplement illégales, du siège imposé à la bande de Gaza, devenue véritable prison à ciel ouvert, et de la répression militaire qui cherche à réduire les Palestinien·nes à des corps mutilables et tuables.
Le régime d’apartheid mis en place par l’État israélien en Palestine constitue une violation du droit international (selon les associations internationales de droits humains tels que HRW, Amnesty et B’Tselem). Si les institutions internationales, ONU, Union Européenne, tardent à le qualifier ainsi, des israélien·nes s’en chargent sans fard. L’État israélien doit être jugé pour sa responsabilité dans la perpétration de crimes contre l’humanité. Une plainte a d’ailleurs été déposée et acceptée à ce titre auprès du Tribunal pénal international. Mais jusqu’à présent, malgré des violations répétées du droit international, l’État colonial d’Israël semble exonéré de toutes sanctions sérieuses et affiche sa brutalité dans la plus grande impunité. Plus encore, il est destinataire d’armements et de financements massifs de la part d’États occidentaux, qui se proclament ses « amis », et se font complices de ses crimes.
En France, nous faisons face à une complicité ostensible de l’État. L’État français maintient en détention un prisonnier politique libanais ayant rejoint la lutte du peuple palestinien, George Ibrahim Abdallah, lui infligeant une durée d’incarcération exceptionnelle au regard des normes européennes, à la demande explicite des États-Unis. La semaine dernière, ce fut aussi le seul État à avoir interdit et violemment réprimé les manifestations de soutien au peuple palestinien, en Île-de-France et à Nice, sous des prétextes fallacieux. Ici et là, on qualifie le contexte de « complexe » et on invoque le « droit d’Israël de se défendre ». (...)
De plus en plus, nous faisons face à des tentatives de museler toute conscience politique de l’oppression en cours, inspirée d’une pensée critique, en la prenant en étau, rabattant des positions politiques sur des catégories, notamment religieuses, racialisées. Le procédé vise à renvoyer l’opposition à Israël à une « guerre de religion », prenant en otage ses critiques entre les accusations d’antisémitisme et d’« islamo-gauchisme » – le second, catégorie fictive chère à l’extrême-droite, impulsant supposément le premier. L’expression d’une critique envers l’État d’Israël est ainsi assimilée à l’antisémitisme, cherchant à amalgamer judéité et politique coloniale, tandis que la manifestation d’une solidarité avec la Palestine est suspectée d’être une soumission aux islamistes. Ce procédé réduit, par un jeu d’emboîtement désormais familier, la Palestine à l’islam, l’islam à l’islamisme, l’islamisme au terrorisme et encourage ainsi, peu à peu, à voir dans les tenant-es de la pensée critique décoloniale et postcoloniale, des figures d’ennemi-es de l’intérieur, complices du terrorisme, ou terroristes intellectuel-les. Les personnes racisées sont, comme à l’accoutumée, plus suspectes encore que d’autres. (...)
On cherche ainsi à créer les conditions du silence des personnes racisées en rendant suspecte toute expression de solidarité entre elles et toute analogie entre leurs conditions.
Parce qu’on y retrouve de façon exemplaire toutes les manifestations de la brutalité qu’engendre le colonialisme, la Palestine en est devenue le douloureux symbole. À ce titre, elle est au cœur des préoccupations décoloniales transcontinentales. (...)
Ainsi, élever sa voix contre l’oppression systémique et le nettoyage ethnique auxquels résistent les Palestinien-nes en ce moment même ne revient malheureusement pas à porter notre attention sur une exception. Cela revient à dénoncer toutes les oppressions du même type : qu’il s’agisse du sort des Ouïghours en Chine, aussi victimes d’une « guerre contre le terrorisme islamiste », des Noir·es aux États-Unis, des racisé·es dans les banlieues en France et dans les outre-mer, des Touaregs en Algérie, des autochtones du Cauca en Colombie pour ne citer que quelques exemples d’une liste trop longue. La souffrance de la Palestine renvoie à celle de tous les peuples opprimés et de toutes les minorités asservies.
Que le pouvoir ne compte pas sur notre silence ! (...)
Le peuple palestinien a une nouvelle fois montré qu’il n’agira pas en victime, en organisant la mobilisation de manière horizontale, en Palestine et de par le monde, dénonçant la colonisation de peuplement, l’expropriation et l’occupation, de nombreuses militantes et militants n’hésitant pas à arborer un sourire sur les clichés de leur arrestation par la police coloniale. Malgré la propagande de Netanyahu, qui a voulu faire croire à la disparition du « problème » palestinien durant ces dernières années, la solidarité internationale s’affirme à ses côtés et montre qu’elle n’a pas faibli. Le peuple palestinien est encore debout et plus que jamais uni. La grève générale qui a paralysé les territoires colonisés, du Jourdain jusqu’à la mer, en est la preuve. La jeunesse palestinienne lutte ainsi contre les représentations erronées des médias internationaux en apportant ses propres analyses et témoignages, malgré la censure digitale et les menaces de mort auxquelles ils et elles font face. Les Palestinien·nes de l’intérieur et de la diaspora donnent une leçon de vie et d’espoir au monde entier. Ils et elles nous rappellent de manière éloquente qu’on ne peut ni normaliser la colonisation ni accepter la défaite. À cette résistance, nous ne pouvons qu’exprimer soutien et déférence.
Nous, signataires, sommes solidaires de la résistance palestinienne et adhérons au mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanction, y compris dans les institutions académiques, qui entend faire pression sur l’État colonisateur d’Israël pour qu’il se conforme au droit international. Nous exigeons la fin de procédés qui visent à criminaliser toute action de boycott de cet État colonial : alors que la CEDH condamne la France pour entrave à la liberté d’expression, la circulaire scélérate du ministère de la justice français n’est toujours pas abrogée. Nous reconnaissons la centralité de la Palestine et affirmons l’importance des réflexions menées sur la situation palestinienne comme sur toutes les situations coloniales dans nos recherches et nos enseignements. Nous nous engageons à dénoncer les atrocités commises par l’armée coloniale de l’État d’Israël. Nous appelons les universitaires à rejoindre toutes les initiatives de solidarité internationale consistant à s’opposer à l’effacement systémique des Palestinien·nes. Nous dénonçons avec force la complicité de nos gouvernements avec les crimes d’occupation, et exigeons qu’ils mettent fin à la répression des actions de solidarité avec la Palestine et des mobilisations contre toute forme de soutien direct ou indirect à l’État d’Israël. (...)