
Le mardi 15 octobre 2019, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la loi sur la bioéthique. La couverture médiatique de cette loi se focalise sur la question de la procréation médicalement assistée (PMA) ou l’autoconservation des gamètes. Mais cette loi traite aussi de la possibilité en France de faire des embryons humains transgéniques et des animaux chimères avec des cellules humaines.
Ce projet de loi adopté en première lecture [1] - et qui sera étudié au Sénat courant janvier 2020 - s’intitule « élargir l’accès aux technologies disponibles sans s’affranchir de nos principes éthiques ». Il a été précédé d’un rapport d’information (rédigé par le député LREM Jean-Louis Touraine) [2], d’une étude d’impact et de plusieurs autres rapports (Comité Consultatif National d’Éthique– CCNE - et Conseil d’État).
La loi actuelle interdit les embryons humains transgéniques
Actuellement, la loi interdit la création d’embryons humains transgéniques ou des chimères, même pour la recherche et a fortiori pour implantation dans l’utérus d’une femme (article L2151-2 du Code de la santé publique) :
« La conception in vitro d’embryon ou la constitution par clonage d’embryon humain à des fins de recherche est interdite.
La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite ».
Le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale reformule le deuxième alinéa de l’article L2151-2 de la manière suivante : « La modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces est interdite ».
La modification peut sembler anodine, mais en transformant le deuxième alinéa, on supprime deux interdictions. Si les embryons transgéniques ne sont plus interdits, c’est qu’ils sont autorisés. De plus, les embryons animaux auxquels les scientifiques auront adjoint des cellules humaines sont donc aussi autorisés puisque non interdits. En effet, seuls les embryons humains auxquels on aurait adjoint des cellules ou d’autres espèces sont interdits.
Comment le gouvernement justifie-t-il des embryons humains transgéniques ?
L’étude d’impact [3] du projet de loi bioéthique considère que « l’interdiction de création d’embryons transgéniques et chimériques est devenue incohérente au regard de l’avancée des techniques ». Mais quelle technique rend une interdiction incohérente ? Incohérente avec quoi ? Il nous faut revenir sur comment l’étude d’impact définit la transgenèse, ainsi que ce qu’elle appelle "l’édition génique", pour comprendre. (...)
C’est peut-être là la principale motivation : ne pas freiner la compétitivité de la recherche (de l’économie et du marché ?) en promouvant CRISPR y compris sur les embryons humains. On n’arrête pas le Progrès ? Le rapporteur explique que sa position est « plus avancée que celle du CCNE ». Manifestation d’une vision du progrès allant dans un certain sens...
L’objectif de la loi concernant le développement de ces nouvelles techniques est finalement clair puisque l’étude d’impact vante les techniques « d’édition génique » pour leur « précision, rapidité, fiabilité, faible coût ». Et, comme pour les OGM alimentaires, elle utilise le ressort médical pour convaincre : « certaines recherches vont se développer rapidement dans d’autres pays : le développement des solutions techniques et thérapeutiques (notamment dans le domaine des maladies génétiques) - qui doivent encore être confirmées mais qu’il est légitime d’attendre de ces recherches, va échapper à la France avec des conséquences possibles en termes d’accès des patients français à ces futures avancées. La puissance de la technique CRISPR-Cas9 en terme d’accès à la connaissance des modalités de développement de l’embryon précoce, par exemple, mettra hors-jeu les équipes de recherche ne pouvant pas l’utiliser ». Accepter CRISPR ou ne pas être soigné. Tout cela pour ne pas mettre « hors-jeu les équipes de recherches » françaises.
Une éthique à géométrie variable ?
Il semblerait que ce projet de loi place beaucoup d’espoirs dans le développement de débouchés pratiques futurs grâce à ces techniques. Mais il a été montré que les mille et une promesses de ces techniques étaient à tempérer. Les effets hors cibles sont très nombreux et dépassent les barrières génétiques des espèces (...)
Ainsi cette loi autorise les embryons humains transgéniques non réimplantés et les animaux chimères (avec des cellules humaines) afin « d’accompagner les évolutions scientifiques ». Dans de prochains articles seront abordés plus en détails certains aspects des animaux chimères (et xénogreffes), des cellules iPS, des Cellules Souche Embryonnaires humaines (CSEh) puis la perspective éthique de cette loi.