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La légalisation a fait de l’Allemagne le bordel de l’Europe. Et nous devrions avoir honte !
Article mis en ligne le 5 février 2018

Lorsque les abolitionistes allemands parlent de la situation de la prostitution en Allemagne, nous entendons constamment les mêmes réactions : « vous plaisantez ? » ou « comment est-ce possible ? » Quand nous faisons des présentations dans d’autres pays, les personnes dans le public se mettent à pleurer ou demandent à faire un break un quart d’heure après le début pour respirer un peu d’air frais. Les mêmes présentations en Allemagne peuvent choquer aussi mais nous avons observé que les gens sont tellement habitués à la situation que leur réponse émotionnelle est plus réservée. En fait, les hommes allemands vont souvent révéler fièrement qu’ils sont des acheteurs de sexe lors des débats abolitionnistes. Il n’y a aucune honte à être client en Allemagne. C’est un signal évident et alarmant qui montre que des décennies de prostitution légalisée ont profondément modifié la société.

C’est facile de fermer les yeux sur les dégâts causés par la prostitution si on n’y est pas confronté directement. Et bien que toutes les femmes subissent l’impact de la prostitution, la plupart des gens non directement impliqués ont une connaissance limitée de ce qui s’y passe. Nous devons nous demander honnêtement quelles sont les conséquences sociétales de la normalisation de la prostitution, et si nous avons fait assez pour la combattre. Ce n’est pas acceptable de dire « je ne suis pas affecté-e directement par la prostitution, et il y a des choses plus graves ». Quand nous découvrons de graves violations des droits humains, comme c’est le cas dans la prostitution, c’est notre responsabilité de faire quelque chose à ce sujet. Si nous examinons honnêtement la situation en Allemagne, c’est clair qu’une action s’impose. (...)

La loi, qui en fait légalise surtout le proxénétisme, dit que la prostitution n’est plus considérée comme contrevenant à la « bonne moralité » du pays. Alors que dans le passé, la notion de « violation des lois morales » signifiait que les affaires judiciaires impliquant une exploitation étaient traitées comme contraires à la moralité publique, cette loi ne s’applique plus dans le contexte de la prostitution. Malgré son nom désuet, la violation de cette loi de moralité a été pratiquement la seule façon de s’attaquer à des situations d’exploitation ou de pratiques immorales dans le domaine des affaires quand ces pratiques n’étaient pas interdites explicitement par la loi – comme des salaires très bas, des augmentations de loyer abusives ou des taux d’intérêt très élevés. La décision d’exempter la prostitution de cette « loi de moralité » a pu paraître progressiste, mais elle a considérablement facilité l’exploitation des femmes.

Nos politiciens ont célébré ce « grand succès » verre de champagne à la main, tout à fait en phase avec cette nouvelle normalité. Même l’Union sociale chrétienne a été impliquée dans la construction d’un bordel… à Dachau, déclarant que c’était « une entreprise tout à fait ordinaire ». Le conseiller Elmet Erhorn, qui travaillait comme électricien sur le projet, a dit : « je crois que nous construisons une chose formidable, un sauna magnifique, un jacuzzi pour se relaxer… Ce sera le plus bel établissement à Dachau … Nous avons besoin d’endroits comme ça dans notre ville ». Le propriétaire de bordel Bert Wollersheim a fait visiter son bordel à Sylvia Pantel, députée du Parti conservateur au Parlement. Elle a dit : « Je sais que Monsieur Wollersheim est une personne très sympathique ».

L’underground allemand

Dans leurs efforts pour discréditer le modèle nordique, les opposants disent qu’en Suède, la prostitution n’a pas réellement décliné mais qu’elle est devenue clandestine. Bien sûr, ce n’est pas vrai. Les policiers et les travailleurs sociaux en Suède, où le modèle nordique est en place depuis plus de 10 ans, disent qu’ils n’ont aucun problème à localiser les prostituées et les clients, le seul problème étant de trouver l’argent pour gérer ces situations.

En plus de légaliser le proxénétisme, la loi prostitution offre aux personnes prostituées la possibilité de devenir des employé-es ordinaires, payant des impôts et ayant accès aux aides sociales. Mais seulement 44 personnes prostituées sur un total de 400 000 à 1 000 000 ont choisi de se faire enregistrer comme prostituées afin d’avoir accès à ces aides. (...)

la plus grande partie de la prostitution a lieu dans des appartements répartis dans toute la ville, même dans les zones où les bordels n’ont pas le droit de s’installer. Il y aussi des cinémas porno où les hommes peuvent trouver des prostituées, des « tea clubs » qui servent surtout des hommes turcs et marocains, et où les prostituées sont surtout roumaines et bulgares, il y aussi des escorts, et bien sûr, de la prostitution en ligne. La plupart des gens sont surpris d’apprendre que des mini-bordels existent juste à côté de chez eux, parce que ces établissements n’ont pas la visibilité des mega-bordels comme les « Paradise » et les « Pascha ».

Et il y a la question du crime organisé. Des gangs de crime organisé comme les Hell’s Angels, les Mongols, les Bandidos, les United Tribuns etc. contrôlent la prostitution et les zones « red light » (quartiers chauds) dans différentes villes allemandes. (...)

La prostitution dans le système éducatif

Pro Familia, un membre de la Fédération internationale « Planned Parenthood » (IPPF) est une organisation qui conseille les écoles pour le choix de leur matériel pédagogique d’éducation sexuelle. Dans ce matériel recommandé pour les adolescents, il y a un livre appelé « Sexualpädagogik der Vierfalt » (dont la traduction serait à peu près « Pédagogie sexuelle de la diversité »). Ce texte inclut des suggestions et du matériel pour des projets dans lesquels les étudiants doivent nommer des positions sexuelles et faire des propositions pour « moderniser un bordel ». En petits groupes, ils sont censés discuter quels services une « maison de plaisir » devrait offrir aux clients. Et ceux qui ont protesté contre l’introduction de ce genre de contenu dans le curriculum scolaire ont été traités de « réactionnaires », de « conservateurs » et de « prudes ». (...)

La normalisation de la prostitution en Allemagne, même parmi les enfants d’âge scolaire, amène des jeunes gens à célébrer leur succès à l’Abitur (examen de fin d’études secondaires similaire au baccalauréat NDLT) en allant ensemble au bordel. Ici ce n’est pas un problème que des garçons de 16 ans se rendent en groupe dans des lieux de prostitution pour acheter du sexe – c’est quelque chose que je vois régulièrement dans mon propre quartier. (...)

Un bordel à prix fixe, appelé « Pussy Club » a fait les grands titres des journaux quand, lors de son jour d’ouverture le 9 juin 2009, une file d’attente de 1 700 hommes s’est massée devant la porte pour pouvoir entrer. Les files d’attente ont continué devant les chambres des femmes jusqu’à la fermeture, quand les prostituées se sont effondrées, épuisées de fatigue, terrassées par la douleur, les blessures et les infections, en particulier souffrant d’irritations vaginales et de mycoses qui, de leurs organes génitaux, se sont propagées à leurs jambes. Ce bordel a été fermé un an plus tard pour trafic d’êtres humains. (...)

Nous avons un long chemin devant nous, un dur combat à mener et les abolitionnistes allemandes ne peuvent pas le mener seules. Nous avons besoin de personnes extérieures pour dire aux Allemands : « êtes-vous devenus complètement fous ? » Des documentaires et des reportages ont commencé à dire la vérité sur la situation en Allemagne. Même les lobbyistes du « travail du sexe » disent que le « modèle allemand » n’est pas satisfaisant. Il est temps que l’Allemagne cesse de défendre fièrement son modèle et que les Allemand-es soient honteux de cette situation.

Lire aussi : Prostitution légalisée en Australie : l’envers du décor
"Dans mon premier job dans un bordel, j’ai commencé à penser : « je ne peux plus faire ça, je n’en peux plus, je commence à haïr tous les hommes que je rencontre, même en dehors du bordel ». Je voulais partir et je pensais que je pouvais partir, donc je suis partie. Et c’était un bordel légal.

Deux semaines plus tard, je marchais dans la rue d’une autre banlieue loin du bordel, quand deux hommes qui faisaient deux fois ma taille – 1 mètre 95, des colosses – ont traversé la rue en courant vers moi. J’ai pensé qu’ils couraient après quelqu’un d’autre mais ils sont venus jusqu’à moi, m’ont brandi leurs poings sous le nez et m’ont dit : « tu dois retourner travailler » – et ils m’ont laissée là. Donc ils m’ont intimidée physiquement pour le compte de ce bordel de luxe fréquenté par des politiciens, où nous étions censées être en sécurité et libres de partir quand nous voulions – mais c’est du pipeau. Ils m’ont dit que je devais retourner travailler, ou ils m’exploseraient.

S : Autant pour la notion que les femmes qui travaillent dans ces bordels sont libres de partir quand elles veulent…

SW : J’ai eu de la chance d’avoir assez d’argent pour pouvoir partir pour une banlieue différente où ils ne pouvaient pas me trouver. C’est ça, la prostitution : en fait, ce n’est pas parce que j’étais si merveilleuse qu’ils me voulaient dans ce travail – parce qu’on est toutes jetables dans la prostitution. C’est parce que les proxénètes sont des psychopathes, et ils n’aiment pas ça quand vous décidez par vous-même. Ce proxénète a pris la peine d’embaucher ces deux colosses, de me pister dans une ville immense, de me retrouver et de me menacer. Même si tous les jours, il y a une nouvelle fille qui entre au bordel à cause de la pauvreté, ce que cette femme mac n’a pas aimé, c’est que j’ai pris la décision de partir. C’était vraiment effrayant. On était traitées comme des moutons, comme des kleenex, et on nous disait qu’on pouvait partir et qu’on serait ok, mais quand je suis partie, ils m’ont pourchassée et ont essayé de me faire du mal." (...)

nous n’avions pas l’autorisation d’utiliser quelque médicament que ce soit pour rendre les choses plus faciles ou plus secures pour nous – mais nous étions toutes sous médicaments ou sous drogues. Il fallait juste ne pas avoir l’air à l’Ouest et bien sûr sourire tout le temps. (...)

Ces gens des soi-disant « syndicats de travailleurs sexuels » se baptisent « travailleur sexuel en activité » ou « travailleur sexuel migrant ». C’est révoltant ! En réalité, ils sont dans des positions de management et font travailler des femmes trafiquées – c’est ce que ça veut dire. Et ils ne les aident pas à sortir de l’industrie du sexe parce qu’ils nient l’existence du trafic sexuel en général.

On leur a donné une voix à la table ronde du National Anti-Trafficking Plan d’Australie – où ils affirment que le trafic sexuel n’existe pas ! Et ils baptisent toute personne trafiquée pour le commerce du sexe de « travailleur sexuel » ou « migrant ». Nous avons une crise des réfugiés majeure ici en Australie, des gens ont besoin qu’on les accueille et qu’on les loge, mais le gouvernement leur est hostile et ne veut pas laisser entrer ces personnes vulnérables dans le pays. Bien sûr, la plupart d’entre nous veulent aider les réfugiés mais quand la Scarlet Alliance dit qu’ils veulent aider les réfugiés, ils veulent juste faire entrer plus de femmes en Australie. Et ils disent : « On est pour ! Et on a l’air d’être de gauche et humanitaire ! » Ils sont contre la pénalisation de toute personne achetant ou vendant sciemment un être humain trafiqué. Mais ouvrez les yeux !

On vient de voir le cas d’une femme prostituée qui a été libérée après être restée enfermée pendant des mois dans un placard ; elle pouvait à peine respirer, elle était dans le Victoria où la prostitution est légale. Et quand de nombreuses femmes comme elle viennent ici, elles pensent qu’elles viennent avec un visa étudiant mais quand elles arrivent, elles sont mises dans des bordels décriminalisés en Nouvelle Galles du Sud. Elles pensent qu’elles viennent ici pour apprendre l’anglais mais ces femmes en détresse sont trompées et viennent rejoindre les rangs des « travailleuses sexuelles migrantes ». Ces gens de la Scarlet Alliance sont si horribles et vils, il n’y a pas de mots pour dire ce qu’ils sont ! (...)

Quand j’étais dans la prostitution, j’ai été traitée comme de la m…de, mais personne n’est traité plus mal que les femmes de couleur – les clients sont souvent fétichistes. (...)

Pouvez-vous imaginer l’impact de la position d’Amnesty sur ces femmes quand ils décriminalisent le proxénétisme et l’achat de sexe ? Quand ils disent que le sexe est un droit humain et que les proxénètes ont le droit de vendre les femmes pauvres aux clients ? La section 13 de la déclaration d’Amnesty dit que « les pays et les Etats ont le droit de limiter la vente de services sexuels » ; ça signifie qu’Amnesty soutiendra les pays qui criminalisent les femmes qui se vendent tout en soutenant sans équivoque l’achat de femmes et le proxénétisme. Comment peuvent-ils faire ça et prétendre que c’est pour nos droits ? Comment peuvent-ils décriminaliser l’achat de sexe et le proxénétisme, et affirmer que les Etats ont toujours le droit de criminaliser les prostituées ? Des femmes dans le monde entier vont se faire baiser à cause de cette position d’Amnesty, ça va être la foire d’empoigne. J’ai de la chance d’être sortie de la prostitution avant ça. (...)

Ce dont nous avons besoin, c’est que les prostituées soient complètement décriminalisées et que les proxénètes et les clients soient pénalisés. Et nous avons besoin d’un énorme apport d’argent pour aider les prostituées à sortir de la prostitution, et pas juste de « centres de ré-insertion » (il n’y en a pas beaucoup de toute façon), il faut aussi des logements décents, une couverture médicale, des gardes d’enfants, et tout ça à long terme. Cela peut irriter la minorité bruyante (car c’est une minorité), celles qui disent qu’elles ont « choisi le travail sexuel » mais je me préoccupe de la majorité des prostituées qui n’ont aucun choix viable.

Et je refuse absolument d’accepter que les hommes puissent avoir le droit d’acheter des êtres humains pour le sexe. Oui, même les invalides. Le sexe n’est pas un droit humain mais ne pas subir d’abus sexuels en est un.

Lire : août 2015 :Réuni en séance plénière à Dublin, Amnesty International a voté mardi en faveur de la dépénalisation de tous les "travailleurs du sexe", c’est-à-dire des prostituées comme des proxénètes. Une position fustigée par les milieux associatifs.