
Dans le cadre de la journée de débat et de dialogue organisée par le groupe français d’Antarsya à l’École Nationale Supérieure, rue d’ULM à Paris le 2 mars 2014, sur le thème :
« La gauche face à la crise capitaliste et l’union européenne, l’expérience grecque ».
Ont participé à cette rencontre des militants syndicalistes (CGT, FSU) des associations (Ligue des Droits de l’Homme, MRAP) des militants politiques (Syriza, PCF, PG, Ensemble, NPA). Pascal Franchet,vice-président du CADTM France, est intervenu au cours de l’atelier intitulé :
« l’Union Européenne et la crise capitaliste contemporaine », voici son intervention.
Le CADTM a fait de l’annulation des dettes illégitimes et odieuses l’axe principal de ses activités depuis maintenant plus de 20 ans. L’expérience que nous avons des pays du Sud, de la crise de la dette de 1982 et des plans d’ajustement structurel qui ont suivi, nous a prédisposés à construire des réponses alternatives à la crise de la dette que connaissent à des degrés divers les pays du Nord depuis 2009.
Il y a toutefois une différence déterminante entre la crise de la dette des pays du Sud et celle que nous connaissons aujourd’hui en Europe.
Bien que née aux États-Unis en 2007, la crise frappe plus durement le continent européen que les USA. L’ampleur particulière de la crise en Europe tient en la primauté donnée aux intérêts du capital industriel et financier ainsi qu’à la mise en compétition au sein de l’espace européen d’économies tout à fait inégales.
Cela se traduit par la casse des services publics, la mise en concurrence des salariés et le refus d’harmoniser par le haut les systèmes de protection sociale et le droit du travail. Tout cela répond à un objectif précis : celui de permettre l’accumulation maximum des profits, notamment en mettant à disposition du Capital une main d’œuvre la plus flexible et précaire possible.
Cette crise agit comme un révélateur !
Elle démontre que le projet néolibéral pour l’Europe n’est pas soutenable. Ce dernier était fondé sur le présupposé que les économies européennes étaient plus homogènes que ce n’est le cas en réalité.
Les différences entre pays se sont au contraire accentuées selon leur insertion dans le marché mondial et leur sensibilité au taux de change de l’euro. (...)
L’Union européenne est le maillon faible du capitalisme mondial et sa nature même est un facteur d’amplification de la crise
Maillon faible au sens où l’Union européenne n’est pas un État fédéral doté d’une économie intégrée avec une fiscalité commune, une monnaie commune, un droit du travail commun, une protection sociale commune.
Elle est une construction d’inégalités et de concurrences, érigées en dogmes rois (traités) et visant à privilégier les entreprises des pays dominants (situées en Allemagne et en France pour les principales) au détriment des économies de pays dominés, principalement situés au Sud de l’Europe et dans l’ex-Europe de l’Est, PECO inclus.
L’UE, un facteur d’amplification de la crise
Sa constitution et son mode de gouvernance, où la démocratie la plus élémentaire est écartée d’emblée, en font un terreau idéal du néolibéralisme.
Loin d’apporter son soutien à un de ses membres en difficulté, l’Union européenne a inscrit dans sa constitution l’interdiction de prêter aux États membres pour financer des politiques publiques et choisit plutôt de venir au secours des responsables de la crise financière, les banques privées. (...)
la classe dominante a imposé aux populations européennes une politique d’austérité sans précédent, s’en prenant aux droits sociaux, y compris les pensions et la législation du travail, avec une virulence particulière dans 4 pays (la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal). Il ne s’agit en aucun cas de réduire la dette publique ou d’apporter des réponses structurelles aux causes de la crise, mais de garantir le paiement des créanciers et de construire un modèle de société dans la droite ligne de la pensée néolibérale.
Le « laboratoire grec » a vocation à être le modèle de ce qui doit s’appliquer dans les autres pays européens, tout comme le Chili de Pinochet fut, il y a un peu plus de 40 ans, le terrain grandeur nature de l’expérimentation des thèses de l’école de Chicago.
Main dans la main avec le FMI, la Commission européenne a contourné l’article 125 du Traité de Lisbonne en octroyant, via le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité, des prêts à certains États membres de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal et Chypre) pour garantir le paiement des banques privées des pays les plus forts de l’UE.
Ces 2 structures empruntent sur les marchés financiers. En contrepartie, sont exigés : des privatisations, des baisses des salaires et des retraites, des licenciements dans les services publics, la réduction des dépenses publiques en général, sociales en particulier. (...)
La Troïka porte en fait ce que les sociétés transnationales et les firmes financières veulent voir appliqué en Europe. Au coût avéré du capital, elle oppose un coût supposé du travail (...)
Un gouvernement de gauche devrait dire :
« Nous ne pouvons pas payer la dette en ponctionnant les salaires et les pensions, et nous refusons de le faire. » Après la mise en place d’un moratoire (on arrête de payer), il devrait organiser un audit citoyen afin d’identifier la dette illégitime à annuler qui correspond en général aux 4 éléments déjà cités.
Les causes de cette dette, à quoi elle a servi et à qui elle a profité et profite encore, doivent être rendues publiques pour que les citoyens décident du sort des dettes illégitimes. Pour notre part, nous prônons leur annulation pure et simple. La question des réparations reste ouverte.
Un tel gouvernement devrait aussi profiter de cet audit citoyen pour dresser un cadastre des détenteurs des titres de la dette, chose totalement interdite aujourd’hui. L’identité des créanciers est tenue secrète de par la loi. Les parlementaires qui votent le budget et les intérêts à servir ignorent à qui ces intérêts sont versés. Ce sont les chambres de compensation (Euroclear, Clearstream) qui distribuent l’argent public.
Enfin, le système financier a fait la preuve de sa nocivité sociale. Il faut exproprier toutes les banques ainsi que les autres organismes financiers, les nationaliser et les placer sous contrôle citoyen. Ce contrôle citoyen (ou socialisation) des institutions financières peut se faire efficacement en lien avec les organisations syndicales des salariés des banques et du ministère des finances.
Ce serait également un moyen supplémentaire pour un gouvernement d’assurer un contrôle sur le crédit et sur les flux financiers.
Cette question du contrôle et de l’audit citoyen est pour nous une question centrale. (...)
Contre cette Europe à 2 vitesses, contre cette Constitution au service exclusif de la classe dominante, nous opposons la nécessaire construction de la solidarité internationale pour refonder dans les luttes sociales une nouvelle Europe, en rupture totale avec celle-ci, démocratique, sociale et écologique, une Europe des peuples.
Il y a urgence à unifier les mobilisations sociales à l’échelle du continent et tout particulièrement celles ayant trait à la remise en cause des dettes illégitimes.
Cette solidarité internationaliste doit s’appliquer tout pareillement en faveur de l’annulation des créances européennes envers les pays du Sud.
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