
Géopolitique de l’Internet. La démocratie directe pourrait éventuellement être réalisée à travers les technologies de l’information. Partout dans le monde, des études sont menées et des expériences sont réalisées qui testent la faisabilité de cette forme de gouvernance. Il existe cependant des entraves à son succès. Or, tant qu’existera un décalage entre technologies et démocratie, des frustrations seront exprimées à l’occasion de manifestations.
LA DEMOCRATIE directe, un système où les citoyens prennent eux-mêmes les décisions politiques, a longtemps été impossible dans les sociétés modernes surpeuplées. L’auteur Henri Oberdorff raconte que, dans les années 1920, un journaliste américain s’était interrogé sur la faisabilité de ce modèle de gouvernance avec l’avènement de la radio. L’idée avait cependant rapidement été abandonnée. [1] Aujourd’hui, avec l’apparition d’Internet, il semble que la démocratie directe virtuelle ne soit plus tout à fait hors de propos.
Déjà, les administrations publiques des quatre coins du monde ont soumis la Toile à bien des tests. De nombreux gouvernements ont par exemple rendu disponibles en ligne leurs données sur des « portails de données ouvertes ». C’est le cas notamment du Canada (donnees.gc.ca), de la Norvège (data.norge.no), du Kenya (opendata.go.ke) et de la Moldavie (date.gov.md).
Les initiatives « MyGov » se sont elles aussi inscrites dans cette mouvance. (...)
L’expérience la plus remarquable demeure néanmoins celle menée par le gouvernement de l’Estonie en partenariat avec l’Union européenne, « Today I decide » (tidplus.net). Selon Henri Oberdorff, cette initiative mise en place en 2001 devait permettre aux Estoniens de soumettre des projets de loi sur un forum public. Les projets qui recevaient l’appui d’un nombre suffisant d’internautes étaient transmis au gouvernement, lequel disposait de 30 jours pour se prononcer à leur égard. [2]
Bien qu’audacieuse et novatrice, l’expérience « Today I Decide » n’a malheureusement pas été accompagnée de résultats réellement transcendants. (...)
Outre le défi que présente la fracture numérique, certains manifestent aussi des inquiétudes vis-à-vis de la fiabilité du vote électronique ou du vote à domicile. L’auteur Paul S. Herrnson fait remarquer à ce sujet que les ratés de l’élection présidentielle américaine, en 2000, ont grandement miné la confiance des gens envers les nouvelles technologies de scrutin. Lors de cette campagne, des machines à voter avaient été utilisées afin de faciliter le comptage des voix. Or, il est apparu que de nombreux votes ont mal été comptabilisés par ces machines. C’est finalement la Cour suprême qui, suite à un important scandale, a nommé le vainqueur de l’élection. [5]
La confiance envers le vote électronique est aussi mise à mal par la crainte de fraudes à grande échelle fomentées par des groupes de cyberpirates mal intentionnés. (...)
Dans un tout autre ordre d’idées, l’on redoute que le citoyen moyen ne soit pas préparé à la tâche très ardue qu’est celle du décideur politique. C’est que personne ne sait vraiment si les citoyens auxquels ont offrirait de s’autogérer collectivement n’en viendraient pas à prendre des décisions autodestructrices ou à tyranniser les minorités. Cette crainte est d’autant plus grande que l’outil qui vraisemblablement sera exploité pour réaliser la démocratie directe, l’Internet, n’est peut-être pas tout à fait adapté. Déjà lors d’un colloque tenu au Palais du Luxembourg en 1999, des voix s’étaient élevées pour dénoncer l’incompatibilité entre Internet et la démocratie. L’espace virtuel offert par la Toile avait été décrit comme un outil de rapidité faisant peu de place à la réflexion et à la retenue, deux aspects pourtant essentiels à une gestion publique réfléchie. [7]
Conclusion
Il faut se rendre à l’évidence cependant, tôt ou tard, la démocratie virtuelle sera rendue possible. Un jour, l’Internet aura gagné tous les foyers comme la radio y est parvenue. Ce jour-là, nous aurons probablement développé une plus grande confiance envers les outils de sécurisation du vote en ligne. Après tout, nombreux sont ceux qui déjà aujourd’hui ont suffisamment confiance pour gérer par l’entremise d’Internet leurs comptes bancaires. Bref, un jour, nous aurons la possibilité de nous émanciper politiquement et cette seule idée en fait déjà trépigner plus d’un. (...)
La démocratie virtuelle demeure malgré tout impossible en 2013, ne serait-ce qu’en raison de la fracture numérique. Dans les pays où les soulèvements populaires ont porté leurs fruits, l’on s’est donc contenté, pour l’instant, de changer les têtes dirigeantes de l’État (au Québec par une simple élection).
Afin de consolider la paix sociale regagnée, il apparaît nécessaire de rassurer ceux-là qui s’inquiètent de ne jamais voir de leur vivant la démocratie directe réalisée. Les gouvernements doivent, pour ce faire, montrer dès aujourd’hui un réel intérêt envers plus de démocratie et préparer le terrain en vue du jour où la démocratie directe virtuelle sera envisageable.