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La « concertation » à Sivens : un jeu de dupes pour faire avaler une nouvelle pilule
Article mis en ligne le 22 octobre 2017
dernière modification le 21 octobre 2017

Après l’abandon du barrage de Sivens, l’État a lancé une concertation locale sur un « projet de territoire ». Les auteur-e-s de cette tribune s’interrogent sur la participation d’associations écologistes à cette « expérience d’ingénierie sociale » où les pro-barrages sont majoritaires.

Inutile de revenir sur le projet de barrage initial et sur la manière dont les autorités tarnaises avaient cherché, au mépris de tout, à passer en force pour l’imposer. Après la mort de Rémi Fraisse lors du grand rassemblement du 25 octobre 2014, l’État se précipita au secours des autorités locales, trop heureuses de se débarrasser d’une si chaude patate. Alors que le conseil général et la préfecture du Tarn avaient jusque-là fait la sourde oreille et joué la carte répressive jusqu’à assassiner un homme, Ségolène Royal abattit la carte de la concertation. C’est ainsi qu’était annoncé un « projet de territoire » dans lequel les composantes citoyennes du mouvement d’opposition (Collectif Testet, Confédération paysanne, FNE) s’engouffraient en se réjouissant à l’idée d’être enfin entendues par ceux qui, auparavant, n’avaient cessé de les réduire au silence. (...)

La méthode de l’audit patrimonial a été théorisée par le laboratoire de recherche Adeprina, promue par le think tank Sol et civilisation et commercialisée par une boite de consultants, Mutadis — trois structures qui font travailler les mêmes individus sur les mêmes projets. Elle a été utilisée pour « réhabiliter les conditions de vie dans les territoires contaminés de Tchermobyl » (projet Ethos) et aider la Commission européenne à anticiper la gestion d’un accident nucléaire en réalisant un guide pour la mobilisation des acteurs (projet Euranos). Plus récemment, un projet de « développement durable » a été mis en place en Martinique, prétendant améliorer la qualité de vie autour de bananeraies où a été utilisé un pesticide organochloré qui cause des cancers de la prostate et des naissances prématurées. Le rapport invite à bien vivre, voire vivre mieux, sans nier la présence à long terme du pesticide qui peut être vue comme une « opportunité ».
Gilles Hériard-Dubreuil, président de Mutadis et fondateur du mouvement environnementaliste de droite Écologie humaine (proche de la Manif pour tous) a récemment supervisé une enquête pour Center Parcs visant à réfléchir à l’implantation « durable » d’un centre de vacances dans le Jura. Une manière de rendre la déforestation et le tourisme de masse plus acceptable après l’échec de Roybon ? Via le projet européen Cowam, il travaille depuis une dizaine d’années à l’implantation de projets d’enfouissement des déchets nucléaires : comment les rendre acceptables en tentant d’impliquer les populations locales dans le processus de conception. Si la participation ne prend pas le sens souhaité, il est bien sûr toujours possible d’abattre l’atout : la répression et les armes de guerre pour mater les populations rétives, comme à Bure (Meuse), où Robin Pagès a été mutilé l’été dernier.
Pacifier les populations qui se révoltent contre des projets néfastes et faire accepter les nuisances ? (...)

Un petit tour de table des personnes invitées à ces réunions donne une bonne idée de ce que l’on peut en attendre. Tous les élus locaux qui ont porté sans vergogne le projet initial de barrage sont présents : députés, sénateurs, préfets (dont l’actuel préfet du Tarn, Jean-Michel Mougard, qui s’est appuyé sur des milices privées pour expulser les manifestants antinucléaires de Bure) et maires. Les agriculteurs miliciens qui ont réalisé le siège de la Zad également, dont le vice-président de la FDSEA Laurent Viguier, qui manie aussi bien la fourche que la batte de base-ball. Les associations du lobby pro-irrigation. Et même l’animateur d’un site internet aux idées d’extrême droite qui invitait à la « chasse aux bobos et aux pelluts [sic] ». 16 citoyens tirés au sort sont censés rendre le processus plus démocratique.
Dans une telle assemblée composée très majoritairement de probarrage, qu’espèrent donc obtenir la poignée de membres d’associations écologistes (Collectif Testet, FNE) ou de la Confédération paysanne, si ce n’est servir de caution démocratique à une expérience d’ingénierie sociale dont le but est d’éteindre les braises d’une contestation régionale et nationale très large et dont le résultat risque bien d’être d’imposer, par des moyens plus doux, un barrage au Testet ? (...)