
« C’est ça la France ? C’est ça l’Europe ? » Dans le square parisien où il tente de distraire son bébé de 18 mois, Aziz M., un Syrien de 33 ans qui a obtenu l’asile politique après avoir goûté à quatre reprises aux prisons de Bachar el Assad, est à bout de nerf.
« Après tout ce que j’ai traversé, je ne croyais pas en arriver là, être à la rue en France », explose le jeune homme (dont le prénom a été modifié, NDLR), employé de banque à Alep jusqu’en 2011, avant de rallier les manifestations contre le régime .. et de décider de fuir dans la désillusion face à la corruption généralisée, même au sein de l’opposition.
Selon la loi française, en tant que réfugié politique, il a le droit de travailler et celui de toucher des allocations sociales et familiales au même titre que les nationaux.
Mais, depuis son arrivée à Paris en février, via la Turquie, l’île grecque de Mytilène, et l’Italie, Aziz est hébergé au domicile d’une militante associative. Parce qu’aucune structure d’accueil n’est prévue.
« Le seul recours que j’ai c’est le 115 », le numéro utilisé par les Sans domicile fixe, « or, je ne peux pas changer d’hôtel tous les soirs avec le bébé ». Né pendant les manifestations et sous les roquettes à Alep, le petit a du mal à dormir et a besoin du suivi d’un pédo-psychiatre.
En attendant, Aziz ronge son frein, et supporte mal la bureaucratie d’un pays qui lui fait remarquer qu’il a « de la chance de ne pas être sous les balles ».
Certains Syriens ne tentent même pas de demander l’asile en France, et gonflent le flot des migrants qui campent à Calais pour tenter de rallier la Grande-Bretagne.
Elevés dans la tradition d’accueil du Levant, la plupart sont « plombés » lorsqu’ils se rendent compte qu’ils « ne peuvent pas avoir de toit » en arrivant dans ce qu’ils considèrent comme « le +pays des droits de l’Homme+ », où plus de 90% des demandes d’asile sont pourtant accordées aux Syriens, traduit Sabreena Al Rassace, responsable de l’association « Revivre ». (...)
« La situation syrienne constitue le plus grand exode de population civile jamais enregistré depuis la création du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en 1951 », résume Philippe Leclerc, représentant en France du HCR.
Plus de 3 millions de réfugiés syriens se trouvent en Turquie, au Liban et en Jordanie. Soit un exode supérieur à celui du génocide rwandais en 1994, lorsque 2,3 millions de personnes avaient été forcées de quitter leur foyer.
Cette migration de masse déstabilise aujourd’hui la vie quotidienne des pays voisins.
Les tensions montent contre les réfugiés, dans les camps en Turquie, notamment cet été à Gaziantep, ou au Liban, qui a fini par annoncer la fermeture de ses frontières aux réfugiés le week-end dernier.
« Nous faisons face à l’afflux de 1,3 million de réfugiés syriens. C’est comme si la France devait accueillir 20 millions de réfugiés en l’espace de trois ans. Aucun pays ne peut faire face à de telles proportions », a souligné l’ancien chef du gouvernement libanais Saad Hariri dans Le Figaro.
Si dans le reste du monde l’émotion est réelle, le nombre de réfugiés accueillis reste dérisoire - malgré les appels du HCR - par rapport à l’ampleur de la migration. La crise est passée par là.
Ainsi dans l’Europe des 28, minée par le chômage et la montée des populismes, 144.632 Syriens ont demandé l’asile depuis 2011, et un peu moins l’ont obtenu, selon les chiffres du HCR.
En Europe, deux capitales se distinguent néanmoins par leurs efforts : Berlin et Stockholm.
En Allemagne, où réside une forte communauté kurde, et où aura lieu le 28 octobre une conférence internationale sur le sort des réfugiés syriens, ceux-ci constituent les premiers demandeurs d’asile.
De janvier à fin août, 20.184 Syriens ont déposé une demande, soit un bond de 186% par rapport à la même période de 2013, et 38.808 depuis le début du conflit. (...)
En France - pays qui fût administrateur de la Syrie sous mandat de la Société des Nations de 1920 à 1946 -, quelque 3.500 réfugiés syriens ont été accueillis depuis 2011.
« Une forme de générosité extrêmement maîtrisée lorsqu’on compare avec les autres pays européens », raille Pierre Henry, dirigeant de l’association France terre d’Asile.
A ce jour, seuls 158 des 500 réfugiés que la France s’est engagée à accueillir en 2014 dans le cadre du programme de « réinstallation », sont arrivés. Trois groupes en provenance du Liban sont attendus mi-novembre et un autre issu des camps de Jordanie d’ici la fin de l’année, indique M. Leclerc du HCR. Les premiers ont été installés au Havre, en Dordogne, ou dans une petite ville de l’Isère.
Comme onze autres pays de l’espace Schengen, la France a mis en place des visas de transit aéroportuaire (VTA) pour les Syriens, ce qui rend encore plus difficile leurs arrivées. (...)