
On sait que la France, en 1922, a voté à la Société des Nations (SDN), ancêtre de l’ONU, contre l’adoption de l’espéranto comme langue internationale, malgré un rapport préparatoire plus que favorable. Mais on sait moins qu’elle a mené contre cette langue construite, rivale potentielle, une campagne très offensive, pro-active (pour parler comme un yaourt des temps modernes), qui s’inscrivait dans la lutte d’influence au sein de l’ancêtre de l’UNESCO, la Commission Internationale de Coopération Intellectuelle (CICI), puis l’Organisation de Coopération Intellectuelle (OCI).
C’est un historien français, Jean-Jacques Renoliet, agrégé d’histoire et enseignant, qui a débroussaillé une riche documentation administrative pour raconter l’histoire méconnue de cet ancêtre de l’UNESCO dans l’entre-deux guerre, dans une thèse puis dans un ouvrage publié en 1999 aux publications de la Sorbonne : « L’UNESCO oubliée, la Société des Nations et la coopération intellectuelle (1919-1946) ».(...)
Cette opposition de la France à l’espéranto ne se manifeste pas seulement dans les instances internationales, mais au sein même du pays par une mesure radicale, la circulaire de 1922 signée de Léon Bérard :
"…Je vous prie également d’avertir les professeurs et les maîtres d’avoir à s’abstenir de toute propagande espérantiste auprès de leurs élèves. Vous inviterez les chefs d’établissements à refuser d’une manière absolue le prêt des locaux de leurs établissements à des Associations ou des organisations qui s’en serviraient pour organiser des cours ou des conférences se rapportant à l’espéranto."
Sauf erreur, cela fait de nous le seul pays démocratique qui ait interdit l’espéranto à l’école ! Mais cette consigne fut partiellement abolie en 1938 par Jean Zay :
"…J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’il me parait souhaitable de faciliter le développement des études espérantistes. Certes, il ne peut être question de donner à l’enseignement de l’espéranto une place dans les horaires des études obligatoires de nos Établissements d’enseignement du second degré et dans nos Écoles techniques. Mais si des cours facultatifs d’espéranto peuvent être institués, je n’y verrai que des avantages. On peut l’admettre aux loisirs dirigés."
De fait, divers établissements primaires et secondaires ont ces dernières années accepté des sessions d’espéranto dans leurs locaux. (ici un reportage de France 3 en 2007) (...)
La construction européenne actuelle constitue pour l’espéranto une occasion historique de même nature que ces débats des années 20 à la SDN, et on retrouve sans surprise la même volonté des grandes puissances de favoriser leur propre langue, au détriment de la coopération et de la réflexion sur l’intérêt général ; ou parfois de lier son destin à celui de l’anglais, comme l’illustre de façon caricaturale la télévision France 24. (...)
pour finir par une note optimiste, même modeste, remarquons que l’UE vient d’utiliser l’espéranto pour le nom d’un de ses projets :
« SENPERFORTO, qui signifie en espéranto « plus de violence », ou « sans violence » (...)