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Mediapart
La Cour des comptes étrille le contrôleur des comptes de campagne
Article mis en ligne le 2 octobre 2021

La Cour des comptes a contrôlé en 2019 la Commission nationale des comptes de campagne, qui est passée à côté du scandale Bygmalion, faute de pouvoirs d’enquête. Le rapport est si sévère qu’il a été tenu secret jusque-là.

Pour la Cour des comptes, le contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) était sensible : à l’époque, le président de la CNCCFP était François Logerot, qui dirigea la Cour des comptes au début des années 2000.

Il est toujours délicat de contrôler l’institution de son ancien premier président, surtout quand les conclusions sont sévères. Si sévères qu’elles ont été tenues secrètes depuis fin 2019. Ni la Cour des comptes ni la CNCCFP n’ont souhaité diffuser le rapport qu’a finalement obtenu Mediapart.

Le contrôle, qui porte sur les années 2012 à 2018, avait un double objet : établir si la commission est bien gérée, et surtout si elle a les moyens de contrôler les comptes de campagne. La question se pose, en effet : la création de la CNCCFP au début des années 1990 n’a pas pu empêcher des scandales majeurs, comme l’affaire Bygmalion (financement de la présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012) ou les soupçons de financements libyens de celle de 2007.

En 2012, la CNCCFP a bien rejeté le compte de Nicolas Sarkozy pour un dépassement de 363 000 euros du plafond maximal de dépenses, mais, en réalité, ce dépassement était de 18,5 millions d’euros. La commission a été incapable de détecter le maquillage massif des dépenses de meeting.

C’est sur ce point que le rapport de la Cour des comptes est le plus sévère. Elle considère que « bien qu’indispensable, le contrôle effectué par la CNCCFP ne permet pas de garantir pleinement le respect de la législation ». Car, « faute de s’être vu reconnaître les pouvoirs nécessaires, la Commission ne peut apporter cette garantie à une opinion dont les interrogations sur l’efficacité du contrôle exercé sur les financements politiques se sont nourries d’irrégularités survenues à l’occasion de scrutins majeurs, affectant la crédibilité de la Commission ».

Pour la cour, le contrôle des comptes de campagne souffre d’une double limite : « Il est à la fois trop formel et s’opère sur un champ trop étendu. » Ainsi, pour les dernières municipales, la CNCCFP a étudié 5 111 comptes. Et chaque contrôle est exhaustif. Il est en effet demandé aux rapporteurs de recouper ligne à ligne chaque dépense ou recette, quel que soit le montant de la facture. Puis le collège examine en séance, un à un, tous les comptes. Le tout, dans un délai de six mois.

Comme le souligne la cour, « l’ampleur actuelle du volume des contrôles rend difficile leur approfondissement ». Car ce contrôle s’effectue sur une base déclarative, à partir des seules pièces fournies par les candidats. Or, certaines factures sont peu détaillées au vu de leur montant.

Si la commission peut demander des compléments aux candidats, le refus de transmettre des pièces n’est pas punissable. Elle ne s’adresse pas non plus à des tiers (fournisseurs, colistiers) en vue d’obtenir des renseignements complémentaires.

Pour la cour, « le caractère déclaratif du contrôle permet de déceler uniquement les erreurs, et non les infractions intentionnelles ». La CNCCFP filtre le moustique et laisse passer le chameau.

La CNCCFP passerait-elle à côté d’un second Bygmalion ? (...)

Pour la cour, la CNCCFP devrait prioriser son action sur les listes à risque. Tous les candidats ne sont pas dans la même situation. Ainsi, ceux qui ont fait moins de 5 % ne sont pas remboursables et n’ont aucun intérêt à gonfler leurs dépenses. Au contraire, seuls quelques candidats approchent du plafond de dépenses maximal autorisé, et sont donc susceptibles de sous-évaluer certaines factures, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy.

Dans le modèle proposé par la Cour des comptes, les contrôles des candidats non remboursables seraient quasiment automatisés, quand les comptes importants seraient soumis à un contrôle intensif.

Pour les élections les plus importantes, la cour recommande de « nommer les rapporteurs en amont du scrutin et de les habiliter à assister à certains événements de la campagne ». Elle propose un « droit d’accès en temps réel aux documents relatifs à ces événements (devis, carnet de reçu-dons, etc.) ainsi qu’au compte bancaire du mandataire ». Elle rappelle que certaines autorités indépendantes disposent de tels pouvoirs d’investigation.

La CNCCFP se rapprocherait alors de la Commission électorale au Royaume-Uni, qui « peut conduire des interrogatoires vis-à-vis de n’importe quelle personne dont elle a de sérieuses raisons de penser qu’elle détient des informations relatives à d’éventuelles infractions à la loi électorale ». Autre idée : que les commissaires aux comptes aient l’obligation d’informer la commission d’une infraction.

Mais la CNCCFP est très réticente envers les suggestions de la cour. Elle exprime ainsi son « total désaccord » avec l’idée de concentrer le contrôle sur les comptes à enjeux, l’estimant « dangereuse » et « coûteuse pour le contribuable ». (...)

Une des rares préconisations que la CNCCFP défend, et depuis plusieurs années, serait l’accès à la comptabilité des partis politiques l’année d’une présidentielle. Mais même cette proposition timide, loin des suggestions de la Cour des comptes, n’a pas été reprise : lors de la récente révision des règles de la présidentielle, les parlementaires ont réduit la durée de comptabilisation des dépenses pour la présidentielle (...)

Sur le contrôle de gestion, la cour est plus positive. « La gestion budgétaire est régulière et ne fait transparaître aucun dérapage. » Tout juste note-t-elle que certains fonctionnaires sont recrutés dans des conditions parfois trop avantageuses. Elle se penche également sur l’augmentation, début 2018, de 57 % de la rémunération du président de la commission.

Cette augmentation est justifiée par une loi qui a fait passer à plein temps cette fonction de président. Le montant de l’indemnité de fonction prenait en compte le fait que François Logerot touchait déjà une pension de retraite. Mais, la Cour s’interroge sur cette possibilité de cumul, dont bénéficiaient plusieurs présidents d’autorité. Depuis, la loi a changé et le cumul est strictement encadré. (...)

Les partis politiques bénéficient d’une protection constitutionnelle, qui explique les réticences envers les contrôles d’une autorité, même indépendante. Le président de la CNCCFP regrette toutefois que la proposition d’accéder à la comptabilité des partis pendant l’année d’une présidentielle n’ait pas été reprise.

Certains éléments du rapport ont cependant été intégrés. Ainsi, progressivement, la CNCCFP commence à demander des factures plus détaillées, notamment sur les prestations de communication.

Fin 2019, elle a retoqué des factures (à cinq chiffres) que Jean Messiha, Philippe Vardon ou l’ancien journaliste BFMTV Pascal Humeau avaient adressées à la campagne européenne de Jordan Bardella.

La numérisation du contrôle, en cours, devrait aussi permettre la détection de certaines anomalies. Mais, pour aller plus loin, il faudrait changer la loi. Ce que personne ne semble véritablement souhaiter.