
Dans une période où les citoyens français sont conviés à se réunir pour débattre de la
fiscalité et de l’organisation des services publics - et notamment, sur injonction d’Emmanuel Macron, de la baisse des impôts, des “économies prioritaires à faire”, et de la suppression de “certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité” - le rapport annuel de la Cour des comptes qui vient d’être publié tombe à point nommé pour le gouvernement. Ses préconisations rejoignent l’esprit de la lettre de cadrage présidentielle du Grand débat.
Les sages de la rue Cambon, tout imprégnés de culture libérale et fervents défenseurs de la règle d’or budgétaire de l’Union Europénne se fondent parfaitement dans le paysage macroniste et fournissent aux décideurs des éléments leur permettant de s’abriter derrière des bonnes intentions pour intensifier une politique qui consacre le primat de l’économique sur l’humain. Ils traquent certes le gaspillage des deniers publics, un objectif que tout le monde peut partager, mais pour mieux fustiger dans la foulée ” le haut niveau de dépenses publiques”.
“Amplifier et systématiser la modernisation de ses services publics pour les rendre plus efficaces et plus efficient” serait un objectif acceptable voire louable s’il ne débouchait pas quasi-automatiquement sur la réduction ou la suppression de services de proximité jugés à l’aune de la rentabilité et de leur impact sur le déficit public.
Les critiques et les préconisations des magistrats de la Cour des comptes, déformées et décrédibilisées par une approche purement comptable, apparaissent partisanes et
malvenues au moment où le peuple réclame globalement une meilleure qualité de vie.
Pour la Cour des comptes, le mouvement des gilets jaunes entraîne surtout des mesures “d’urgence économiques et sociales”, synonymes de dépenses supplémentaires qui vont fragiliser encore plus les finances publiques. Et la pression est mise sur le gouvernement avec cet avertissement sans frais : “ les efforts de redressement engagés par la France ces dernières années semblent désormais s’essouffler”. C’est être plus royaliste que le roi Macron, un comble !
Nos experts en comptabilité, soucieux qu’ils sont des deniers publics, auraient pu par contre alerter l’Etat sur les dépenses inconsidérées du ministère de l’Intérieur en matériel militaire et munitions de toutes sortes. De telles dépenses sont pourtant particulièrement improductives et peu rentables puisqu’elles contribuent à dégrader toujours plus la cohésion sociale et à faire monter globalement l’exaspération et le niveau de violence des manifestants, sans parler de la dégradation de l’état sanitaire d’une population dont le nombre de mutilés en tous genres s’accroît au fil des semaines, encore une main arrachée lors de l’acte XIII à Paris . En 2018, le ministère de l’intérieur a passé commande pour près de 20 millions d’euros de grenades lacrymogènes et de grenades de désencerclement et le nombre de grenades utilisées depuis le début du mouvement de protestation des gilets jaunes est absolument sidérant. D’après l’IGPN, alors qu’en 2012, seulement 59 tirs de grenades de désencerclement ( disposant d’une charge de TNT) avaient été déclarés, ce
sont des milliers de tirs qui ont visé des manifestants, souvent pacifiques, en seulement deux mois !
Mais, dans ce domaine là, les magistrats de la Cour des comptes sont muets ; ils préfèrent pointer du doigt les dépenses publiques liées au maintien des urgences dans des périodes de basse intensité. Ainsi les sages préconisent-ils de restructurer des services dont la faible activité, notamment en nuit profonde, ne permet plus d’assurer la permanence des soins dans des conditions financières supportables. Sans doute, dans cette logique, conviendrait-il de ne maintenir les urgentistes en activité que pendant les périodes de fin de manifestation, le samedi de 15H à 20h par exemple. . .
Ne serait-ce pas faire un meilleur usage des deniers publics que d’affecter les ressources financières dévolues aux dépenses militaires pour réprimer et blesser des populations civiles à des usages de protection et de soin ?
Une des missions primordiales de l’impôt est de favoriser l’amélioration de la qualité de vie de la population dans son ensemble en permettant notamment l’accès de services publics essentiels aux plus défavorisés.
Le gouvernement actuel et la Cour des comptes, dont le champ de vision et d’appréciation est limité par la logique financière du libéralisme,doivent de toute urgence changer de lunettes afin d’être sensibles à la réalité sociale du pays.