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le monde diplomatique
La Bosnie enfin unie... contre les privatisations
Article mis en ligne le 29 octobre 2014
dernière modification le 22 octobre 2014

Pauvreté, chômage, corruption, népotisme, incompétence de la classe politique... Presque vingt ans après la fin de la guerre, le désir de résoudre les difficultés communes transcende les clivages communautaires. Début février, après avoir longtemps été réduits au silence par un système clientéliste, les citoyens de Bosnie-Herzégovine ont laissé éclater leur exaspération. Ils s’essaient désormais à la démocratie directe.

« Cela fait vingt ans que nous dormons, il est temps de nous réveiller ! » La formule, répétée à l’envi par les manifestants qui se rassemblent chaque jour dans toutes les villes de Bosnie-Herzégovine, dit bien le caractère inédit de la mobilisation.

L’hypothèse d’une explosion sociale circulait depuis longtemps : le chômage touche officiellement plus de 40 % de la population active, les privatisations se sont soldées par un pillage des ressources publiques, et le pays reste dominé par une élite politique inamovible et corrompue. Pourtant, le mouvement semble avoir pris de court tant les classes dirigeantes que les diplomaties occidentales, qui maintiennent la Bosnie-Herzégovine dans une situation de semi-protectorat depuis les accords de paix de Dayton, en 1995. (...)

Le 5 février, six cents chômeurs se sont réunis devant le siège de l’administration du canton à Tuzla. Ils ont été rejoints par les salariés d’entreprises privatisées au cours de la dernière décennie et placées depuis en liquidation, ainsi que par de simples citoyens, dont beaucoup de jeunes. Deux revendications ont immédiatement percé : la remise à plat des privatisations frauduleuses et la démission des hommes politiques responsables de cette situation.

Tuzla, bastion électoral du Parti social-démocrate (SDP), était autrefois un grand centre industriel. Cette ville de cent cinquante mille habitants a su conserver une culture « yougoslave » de cohabitation entre les différentes communautés nationales, même durant la guerre. Cependant, les entreprises publiques, qui employaient la majorité de la population, ont été bradées sous le contrôle de l’Agence cantonale pour la privatisation. Ces derniers mois, les nouveaux propriétaires de Dita, Polihem, Guming, Konjuh et Aida ont vendu leurs actifs, cessé de payer les salariés et déposé le bilan, laissant sur le carreau des milliers de personnes privées de tout droit.
Silence dans les médias officiels

A Zenica, Mostar, Sarajevo, Prijedor ou Bijeljina, mais aussi dans de petites villes comme Gornji Vakuf-Uskoplje ou Srebrenica, le mouvement a fait tache d’huile. (...)

s à Mostar, la grande ville de l’Herzégovine, toujours divisée en quartiers croates et bosniaques, les citoyens sont descendus ensemble dans la rue, pour la première fois depuis la fin de la guerre. Pour le chercheur Vedran Dzihic, « les histoires de haine ethnique font partie de la mythologie de la Bosnie de Dayton, une mythologie soignée par les médias proches du régime, qui ont tout intérêt au statu quo ». Un nouveau slogan a même fait son apparition sur les murs du pays : « Mort au nationalisme ! »

Pour leur part, les diplomaties occidentales restent étonnamment silencieuses (...)

La révolte bosnienne est suivie avec attention dans les pays voisins, où des manifestations de solidarité ont eu lieu, notamment en Serbie, en Croatie et au Monténégro. Partout, la transition économique et son cortège de privatisations ont produit les mêmes résultats qu’en Bosnie-Herzégovine, mais celle-ci est la première à connaître une révolte explicitement sociale et antinationaliste depuis l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie. Le « printemps des Balkans » n’a peut-être pas encore commencé, mais les signes avant-coureurs en sont apparus dès le début du mois de février.