
En 1877, alors que le Paris populaire se relève difficilement de la Commune, des ouvriers créent une coopérative et se lancent dans l’œuvre sociale et culturelle. Proche du Parti communiste dans les années 20, la Bellevilloise est désormais un café branché.
La girafe tourne son long cou vers une licorne qui regarde, impassible, un économiste atterré expliquer les conséquences de l’évasion fiscale. Certains auront pu reconnaître le « SAS » de la Bellevilloise, ses murs flanqués d’étonnants massacres d’animaux exotiques ou fantastiques. Dans cet immeuble Art déco, planté rue Boyer, au sommet de la rue de Ménilmontant, les concerts et les expos succèdent aux événements militants, comme, cette année, les 20 ans d’Attac ou le bicentenaire de Marx organisé par l’Humanité. Quelques-uns notent, en façade, le bas-relief d’une faucille et d’un marteau. Mais combien savent que dans le « Loft », vaste salle de conférences à l’étage, Jaurès tint quelques meetings avant qu’un cinéma populaire, l’Etoile, ne s’installe dans ce qui s’appelait alors la salle « Lénine » ? Car si associations ou organisations de gauche aiment à organiser fêtes ou lancements de campagne dans l’immeuble de la rue Boyer, ce n’est pas que pour la déco, mais aussi pour le lieu de mémoire. (...)
dans les années 30, le préfet de police, Chiappe, proche de l’extrême droite, a les coopératives ouvrières, désormais souvent communistes, dans le collimateur. La guerre administrative qu’il leur mène, ajoutée à une gestion maladroite et fragilisée par des luttes intestines entre les administrateurs, précipite la Bellevilloise vers la chute. La faillite de sa banque, la Banque ouvrière et paysanne, au printemps 1936 donne le coup de grâce. Née après la Commune, la « Belle » meurt à l’aube du Front populaire, passerelle tristement interrompue entre ces deux grands moments du mouvement ouvrier, page tournée d’un mouvement associatif qui plongeait ses racines dans le socialisme quarante-huitard et l’héritage de Proudhon.
Un Brunch dans ces murs chargés de mémoire
Un temps perdue pour la gauche (on rassembla dans les locaux de la Bellevilloise les Juifs raflés les 16 et 17 juillet 1942 avant de les envoyer au Vél d’Hiv, puis en déportation), vendue en 1950 à une caisse de retraite, la Maison du peuple de la Bellevilloise est rachetée en 2000 et transformée en lieu de culture branché. Reste que le prix du brunch signe plus la gentrification du quartier que le réveil de l’émancipation populaire, n’en déplaise aux organisations de gauche qui peuvent s’offrir ces murs chargés de mémoire pour leurs manifestations. C’est finalement plus au Lieu-Dit, un café sis un peu plus bas sur la butte de Ménilmontant, rue Sorbier, où Hossein ouvre gracieusement ses salles aux Caféministes des Effronté·e·s, aux Causeries des Lilas sur l’antiracisme politique, au Salon du livre politique indépendant, aux enregistrements de Là-bas, si j’y suis de Daniel Mermet, entre autres débats politico-militants où souvent l’on croise Frédéric Lordon, Eric Hazan ou Laurence De Cock, que se perpétue l’esprit émancipateur et d’éducation populaire de la « Belle »