
Mise en place cet été dans la précipitation, une commission de 17 députés belges va mener des auditions durant un an. Au menu : la présence coloniale belge au Burundi, au Congo et au Rwanda, et son legs empoisonné. Les premières polémiques ont déjà éclaté.
Près de vingt ans après la commission Lumumba, la Belgique vient de mettre sur pied une « commission spéciale » chargée d’examiner son passé colonial au Congo, au Rwanda et au Burundi, mais aussi « ses conséquences et les suites qu’il convient d’y réserver », selon l’intitulé officiel de sa mission. Ses travaux sont censés aboutir un an après sa création, d’ici au 16 juillet 2021.
« C’est l’opportunité de sortir de soixante années d’ambiguïtés dans notre discours officiel sur l’époque coloniale, de mettre en place une série de bonnes pratiques pour d’anciens pays colonisateurs », explique à Mediapart le président de cette commission, Wouter De Vriendt. Ce député écolo flamand (Groen) ne semble pas particulièrement inquiet face à l’ampleur de la tâche : « Excuses ou pas, compensations, restitutions d’œuvres d’art, statues, transmission via les livres scolaires… La Belgique doit savoir ce qu’elle dit sur son passé colonial. » (...)
« Si les débats sont véritablement publics, comme la Chambre s’y est engagée, ce sera une très bonne chose, intervient Romain Landmeters, historien de l’université Saint-Louis-Bruxelles. Discuter de ce passé à coups de tribunes d’historiens et d’experts dans la presse écrite ne suffit plus. Il est devenu nécessaire d’objectiver les choses au sein d’une assemblée officielle, et de complexifier la compréhension des conséquences de ce passé sur la Belgique contemporaine. » (...)
Le principe de cette commission « vérité et réconciliation » a été validé en juin par l’ensemble des partis politiques belges, à l’exception de l’extrême droite flamande du Vlaams Belang (qui compte 18 députés sur 150 au Parlement fédéral). Les formations, jusqu’alors réticentes, ont dû céder sous la pression des mouvements sociaux, alors que des rassemblements massifs ont eu lieu en Belgique dans la foulée de la mort de George Floyd aux États-Unis, au printemps. (...)
Le 7 juin, quelque 10 000 personnes se retrouvaient ainsi à Bruxelles en soutien à Black Lives Matter. Des statues de Léopold II et de ses généraux ont été dégradées dans plusieurs villes du royaume, dont Bruxelles et Anvers. Le 30 juin, à l’occasion des 60 ans de l’indépendance du Congo, le roi Philippe présentait aux autorités congolaises « ses plus profonds regrets pour les blessures du passé » – mais pas d’excuses en bonne et due forme.
« La mort de George Floyd a servi de détonateur, mais je ne veux pas que l’on réduise l’immense travail réalisé par les associations depuis plus de dix ans à l’événement Floyd », met en garde Kalvin Soiresse Njall. Cofondateur en 2012 du collectif Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations (...)
Sans remonter jusqu’à la commission sur l’assassinat de Patrice Lumumba et les responsabilités de l’État belge (2000-2001), les débats autour du legs du passé colonial belge sont récurrents et brûlants (...)
en juin, cinq femmes métisses nées au Congo belge dans les années 1940 et arrachées de force à leur mère ont porté plainte contre l’État belge pour crimes contre l’humanité. Ce procès pourrait aussi peser, à distance, sur les travaux parlementaires.
Au-delà de la célérité avec laquelle elle a été mise en place, la spécificité de cette nouvelle commission est l’immensité de son champ. (...)
l’affaire pourrait vite se corser, tant la question de l’enrichissement de certaines familles belges grâce aux colonies reste taboue. (...)