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Libération
« L’intelligence est plurielle, elle est partout dans le règne animal »
L’Intelligence animale, cervelle d’oiseaux et mémoire d’éléphants, éditions Odile Jacob, 2017.
Article mis en ligne le 12 novembre 2017
dernière modification le 10 novembre 2017

La biologiste du CNRS Emmanuelle Pouydebat dresse un panorama des capacités étonnantes des insectes, mammifères, oiseaux et poissons pour remettre l’humain à sa place de « goutte d’eau » parmi les animaux.

A l’occasion de la sortie de son livre l’Intelligence animale (1), elle a dressé pour Libération un panorama des capacités de primates, d’oiseaux, d’insectes et même de poissons dont les humains manquent souvent, prouvant ainsi que l’intelligence est plurielle et faisant descendre l’humain de son piédestal dans le règne animal. (...)

On ne peut pas définir de frontière entre l’intelligence des animaux, celle des primates et celle de l’humain ?
Moi, je fais tout sauf définir des frontières… Car elles peuvent sauter dans un sens ou dans l’autre. Oui, il y a des choses que les humains savent faire et pas les autres animaux. Mais à l’inverse, certaines espèces ont des capacités que nous n’avons pas. Par exemple en termes de mémorisation spatiale. Certaines petites fourmis qui vivent dans le Sahara sont capables de se déplacer 600 mètres – une piste et demie d’athlétisme, je vous laisse imaginer ce que ça représente pour un insecte – en zigzaguant pour trouver de la nourriture, et au retour, elles prennent une ligne droite, un raccourci pour rentrer chez elles. Les chercheurs ont montré qu’elles utilisent un système de podomètre interne. Ils s’en sont rendu compte parce qu’en mettant aux fourmis des petites échasses, leurs pas étaient plus grands et elles allaient au-delà de la colonie. Face à elles, si vous mettez un humain sans GPS au milieu du Sahara, il sera complètement perdu. Mais ça ne veut pas dire que les fourmis sont plus intelligentes que les humains – tout est histoire de contexte.

Quand je discute avec les paléoanthropologues et les collègues issus de différentes disciplines scientifiques, le seul critère comportemental qui différencie les humains reste la bipédie permanente. Les humains sont les seuls à être sur deux pieds en permanence, mais c’est un comportement moteur pas vraiment lié à l’intelligence. (...)

L’utilisation d’outils a été citée pour définir l’espèce humaine, alors qu’on la retrouve chez de nombreux primates et d’autres animaux encore, même les invertébrés – il ne faut pas non plus faire de primato-centrisme ! Le ratel par exemple, un carnivore proche du blaireau, est capable d’empiler plein d’objets pour s’évader de son enclos. (...)

Les humains peuvent fabriquer des outils différents et coopérer pour atteindre un but, mais ça existe aussi dans le monde animal. Toujours chez les fourmis, par exemple, on observe une sorte de coopération pour atteindre un but final : certains individus rapprochent des feuilles entre elles pendant que les autres vont les « coudre » ensemble, les relier par de la soie produite par leurs larves. Mais il faut faire attention avec ces histoires d’outils. Parfois, d’un point de vue cognitif ou moteur, utiliser ou fabriquer des outils est plus facile qu’un exercice de manipulation. (...)

Chacun a donc une intelligence différente selon son environnement, et on ne peut pas classer les espèces sur une échelle de l’intelligence unidimensionnelle…
Exactement. C’est vraiment le message principal de l’ouvrage : l’intelligence est plurielle et elle est partout. Si certaines espèces n’utilisent pas d’outils, c’est probablement qu’elles n’en ont pas la nécessité. Ce que je voulais dans ce livre, c’est remettre l’humain à sa place, c’est-à-dire une goutte d’eau dans le règne animal. Nous sommes une espèce parmi 8 millions sur Terre. Le genre humain est apparu il y a 2,5 millions d’années environ, alors que les premiers animaux pluricellulaires ont 2 milliards d’années. (...)

Il n’y a pas depuis si longtemps que les animaux ne sont plus considérés comme des objets, mais comme des êtres sensibles. Je pense qu’il y a encore du travail de ce côté-là. Utilisez mon livre pour leur donner un meilleur statut !