
Fakir poursuit son « Dictionnaire des conquêtes sociales ». Au programme, aujourd’hui, la naissance de l’inspection du travail. Une horreur : l’Etat ose s’introduire dans les affaires privées, dans la vie privée, dans un domicile privé ! Heureusement, ces fonctionnaires (bénévoles !) seront privés de tout moyen d’agir – notamment contre le travail des enfants.
« C’est le premier pas que nous faisons dans une voie qui n’est pas exempte de périls. C’est le premier acte de réglementation de l’industrie qui, pour se mouvoir, a besoin de liberté. » En 1841, le député De Beaumont – et derrière tout le patronat – redoute le pire : une inspection du travail.
Qui serait « plus dangereuse encore que les grèves » : « Il ne s’agit aujourd’hui que des enfants en bas âge, poursuit le parlementaire, mais soyez en sûrs, un temps long ne s’écoulera pas sans qu’il s’agisse aussi de réglementer le travail des adultes ! » (...)
Jusqu’alors, c’était admis : le patron était le seul maître à bord. Dans son usine, ni l’Etat, ni un syndicat, ni personne ne venaient mettre les pieds. Et le dirigeant pouvait énoncer les règlements à sa convenance : « Il est interdit de causer, de lire, de s’asseoir, de boire ou de manger en travaillant, de se servir des déchets, de se laver les mains dans le tissage, de se peigner, de cirer des chaussures, de fumer, de chanter, de siffler », énumère-t-on dans une fabrique à Saint-Quentin.
Tout allait bien.
Mais voilà que, poussé par l’opinion, par Victor Hugo et son poème « Melancholia » (« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? / Ces doux être pensifs que la fièvre maigrit ? / Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules. / Ils s’en vont travailler quinze heures sous les meules »), par le docteur Villermé et son Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, par les associations philanthropiques, le travail des enfants n’est plus accepté.
Qui va veiller, dès lors, à l’application du droit ? Sont établies « des inspections pour surveiller et assurer l’exécution de la présente loi, énonce la loi du 22 mars 1841. Les inspecteurs pourront, dans chaque établissement, se faire présenter les registres relatifs à l’exécution de la présente loi, les règlements intérieurs, les livrets des enfants et les enfants eux-mêmes ». (...)